L’APOLLONIDE
Bertrand Bonello

EnterreLe dernier film de Bertrand Bonello prend pour objet une maison de tolérance de luxe à la suture du 19e et du 20e siècle. Avec ses obsessions à lui (les poupées, l’économie du sexe) et celles du début du 21e. C’est un huis clos et cette simple forme aurait pu en faire un film puissant. Seulement, à partir du moment où le film en appelle à la leçon de morale progressiste, il devient repoussant, imbuvable.

Le film apparaît malheureusement comme un symptôme d’aujourd’hui : l’impossible négation de l’existence d’une prostitution douloureuse réduirait celle-ci à un objet de lutte humanitaire. Dans L’Apollonide, ce dolorisme a la mauvaise idée de se doubler d’un fard chic. Ça panote sans magnétisme sur des plafonds et des rideaux de velours, ça travelling latéral à tout va sur des actrices chichigneuses, d’un hiératisme parfois ridicule (hormis Adèle Haenel, à la frontalité assez mystérieuse), le tout en empruntant les accents d’une philanthropie prévisible et démonstrative qui semble se vouloir féministe. « On est dans une maison close ici, la liberté c’est dehors, c’est pas ici ». Et tout le monde applaudit.

C’est là que le film est ignoble. Outre qu’il nous ressert l’éternelle diatribe contre un éternel égoïsme masculin, outre qu’il parle de prostitution sous les rubriques les plus morbides (la maladie, la mutilation, les dettes), il excelle à distinguer tout un système de catégories et d’images de la sexualité prétendument ordonné par le regard des hommes, alors que celui-ci est avant tout celui des bourgeois et des hygiénistes, et alors que ce regard est dénoncé, ô combien courageusement, dans le film. Pas possible.

Pourquoi reprendre cette parole bourgeoise, experte, pas forcément dominante en ce début de 20e siècle ? Pourquoi asservir son cinéma à des discours obscènes pour mieux faire valoir ses vues ? De surcroît, le film ne dessine comme espoir de ces professionnelles de l’amour que le mariage éventuel avec l’un de leurs clients. Ou comment dénoncer un ordre masculin tout en lui rendant hommage. Que cet ordre soit d’ailleurs lui-même régi par un noyau d’anxiété dans lequel viennent jouer d’autres femmes (les éventuelles épouses par exemple), cela échappe totalement au film. Non, les hommes sont, à peu de choses près, des monstres, c’est tout. Et à ce titre, l’espèce de suspense autour de la scène de mutilation d’une des prostituées est inacceptable. Que peut-il bien y avoir dans la tête d’un réalisateur pour nous montrer un plan dont on appréhendait parfaitement l’horreur avant de le voir ? Et qui termine son film sur cette même femme mutilée, pleurant des larmes de sperme ? Lui permettre, vraisemblablement, d’être cité.

Car c’est finalement ce qui semble tarauder Bonello : l’effet de signature. Dans L’Apollonide, on fait des phrases (celle déjà mentionnée), on cite Michaux parce que c’est tellement beau – sauf que, non, pas là, pas ici, précisément –, on se fait figurant pour faire mine d’appartenir à une espèce d’hommes-réalisateurs-monstres-regardants (la condition de l’actrice soumise au regard du réalisateur), mais surtout pour s’autoriser à « regarder » soi-même. Et puisque Bonello cite également Monteiro (son titre fait référence à ses Souvenirs de la maison jaune), parlons-en. Bonello dit « pauvres femmes ». Monteiro, lui, dit le désir, le plaisir, et surtout la grâce. Monteiro, convoqué, mais tellement éloigné d’un cinéma ennuyeux, tautologique, obscène. Aucun désir. Aucun plaisir. Aucune joie (pas même dans les scènes « du quotidien »). Aucune compassion. Une immense colère contre un cinéma devenu hideux.gg

Marc Urumi

 

———

L’Apollonide – Souvenirs de la maison close de Bertrand Bonello (France ; 2h02)

Date de sortie : 21 octobre 2011

bub

Commencez à écrire et validez pour lancer la recherche.