Voici que l’arrière-garde d’une horde de démons résiste, reconnaissables par les relents putrides de l’atmosphère viciée qu’ils dégagent. Les polémiques se suivent et agitent une scène bousculée dans ses principes. Au-delà des postures, sinon d’extrême-droite, tout du moins tacitement compatibles avec l’idéologie (le fameux « c’était mieux avant » doublé du « on ne fait pas de politique »), qui gangrènent trop souvent le milieu, le renouvellement du son et des thématiques abordées par le black metal provoque bien des crispations. La nostalgie des pionniers Scandinaves, comme Mayhem évidemment, représente une identité à défendre, si nauséabonde soit-elle. A l’heure où haine et pestilence ont largement débordé du domaine des musiques extrêmes pour infuser dans l’ensemble des médias, voir des artistes s’emparer de mouvements à l’odeur de soufre pour s’affirmer en marge d’une société malade doit être pris comme un symptôme pour le moins inquiétant.
N’en déplaise aux rageux, les vieux groupes Norvégiens (ai-je évoqué Dark Funeral par exemple ?) engoncés dans leurs temples sacrés ne provoquent plus que de l’ennui aujourd’hui. A contrario, les tauliers Vreid sont plus cools que jamais avec leur black mâtiné de rock (un black n’roll en quelque sorte), dont le son se révèle irrésistiblement groovy. Bien souvent nous avons vanté dans ces pages les bienfaits de la pop lorsque celle-ci fait cause commune avec la musique du Diable. Une fois encore, des nappes de claviers se révèlent terriblement efficaces et vénéneuses. Le piège du Wild North West fonctionne à plein : les forêts sauvages accrochées aux pentes escarpées des montagnes deviennent un sanctuaire pour les âmes tourmentées. Le grand défaut de cette galette pourrait être sa durée (trop courte !), mais la frustration qui se dégage lorsque les dernières notes s’élèvent vers les cimes n’est qu’une preuve supplémentaire de la maîtrise des Norvégiens.
Toujours dans les montagnes glacées, mais d’Amérique du Nord cette fois, c’est une autre légende qui fait un retour remarqué. Panopticon assume plus que jamais ses litanies folk et l’introspection de son black atmosphérique. Veste en jean et casquette sur la tête, Austin Lunn, le gars du Minnesota derrière ce projet, touche au sublime, construisant sans vergogne son œuvre sur ses propres gouffres. Il parvient à magnifier son expérience à travers son art, se racontant sans détourner le regard dans le crépitement de brindilles brûlant au milieu du bois enneigé. C’est bien l’amour, la beauté et la vie qui transpirent par tous les pores de ce …And again into the light bouleversant.
Aux étendues sauvages et à leur pureté, Borgne préfère se plonger dans le fracas industriel des usines pleines de fumées. Déjà évoqué dans ces pages, les Suisses confirment sur ce nouvel opus leur pertinence doublée d’intransigeance. C’est en s’extrayant sans dommage du carcan strict du black metal que le groupe se distingue. Il s’agit d’indus certes, mais pas seulement. Cette fois, le démon est invoqué au cœur de la fonderie, là où le métal fond, se trouve malaxé et ballotté de matrices en matrices. En Français et en Anglais, dans les entrailles de la manufacture démoniaque bat un rythme d’une musique parfaitement malaisante. Paradoxalement, les morceaux, lorsqu’ils laissent une large place à une certaine dramaturgie par des plages évocatrices d’un décor ou d’une ambiance, s’échappent dans des dédales de ruptures et de pulsations à géométrie plus que variable. Tout est fait pour s’y perdre, jusqu’à ce que soit distillées quelques épiphanies magistrales.
François Armand
Vreid / wild north west (Norvège | 30 avril 2021)
Panopticon / …and again into the light (Etats-Unis | 15 mai 2021)
Lerne / sede de sangue (Brésil | 19 mars 2021)
Borgne / temps morts (Suisse | 21 mai 2021)