DOMINIQUE FILS-AIME
interview

RevueA peine un an après le magnifique Nameless (chroniqué dans ces pages : lien), la chanteuse Québécoise répond aux questions du Bub sur un nouvel album, Stay tuned !, qu’elle pose comme un nouveau jalon. On y retrouve plus que jamais un style marqué et des thèmes portés comme autant d’étendards. Echange entre cris, silences, torrent de lave et fumée…

François Armand : Comment la musique est-elle apparue dans votre vie ?

Dominique Fils-Aimé : Je pense que la musique nous habite tous, depuis toujours. Tout comme elle, nous sommes fait d’émotions, de fréquences et de rythmiques. Après, tout dépend de si et comment on décide de l’extérioriser.

F.A. : Plus que jamais avec Stay tuned!, votre style pourrait se définir à la fois par un grand dépouillement et une profusion de petits éléments, dont ces captivants patchworks de voix. Est-ce d’abord autour de la voix (en tant qu’instrument à part entière) que se construit votre musique ?

D.F.-A. : En effet, ma voix est mon instrument principal, un instrument organique tellement proche de tous qu’on oublie parfois même que c’est un instrument. Pourtant, il est le seul à pouvoir s’exprimer autant par ses mots, par ses cris que par ses silences et ses soupirs. Celui derrière lequel on ne peut cacher aucune émotion.

F.A. : Votre voix a cette capacité à emplir tout l’espace et à la fois de donner la sensation d’être très proche, parfois c’est juste un murmure. La proximité ainsi créée avec l’auditeur résulte-t-elle d’une « stratégie » délibérée pour faire passer des émotions ou cela s’impose-t-il à vous ?

D.F.-A. : Vu que mon point d’appui principal est le ressenti, les fluctuations parfois drastiques de niveau de voix se sont imposées naturellement, de la même manière que lors de nos conversations avec autrui, nous adoptons naturellement différentes intonations en fonction de l’autre ou du contexte. Retranscrire notre position dans l’espace et définir notre proximité grâce au son.

F.A. : Le rouge de la pochette de Stay Tuned! semble répondre au bleu de Nameless et inscrit l’opus dans une trilogie. A quelle symbolique renvoie donc ce rouge ?

D.F.-A. : Le bleu de Nameless symbolisait une traversée de l’océan la nuit ; le rouge de Stay Tuned! illustre lui le feu de la révolution, représenté par la lave. Après une éruption, la lente coulée de ce feu liquide brûle tout mais pourtant, une fois terminé, il laisse derrière lui un sol plus fertile. Le cœur du jazz sera toujours la révolution.

F.A. : Vu de la France, nous connaissons le mouvement pour les droits civiques comme un épisode historique essentiellement Etats-Uniens. Sans trop rentrer dans les détails historiques, qu’en a-t-il été au Canada durant cette période ?

D.F.-A. : Ma chanson « 9LRR » parle de Little Rock Nine qui s’est déroulé dans l’Arkansas mais un évènement similaire se déroulait en parallèle ici même dans ma ville natale de Montréal. Donc en 1967, les neuf premiers étudiants noirs étaient admis à l’Université et accueillis par des masses de haine, au point de nécessiter d’être escortés par l’armée. À Montréal, deux ans plus tard, à l’Université Concordia, quatre cent étudiants manifestaient contre la discrimination d’un professeur envers des étudiants noirs et contre l’administration qui l’innocenta. Ils occupèrent les salles d’ordinateurs du neuvième étage. Cet évènement se termina par un incendie, mais également des masses de haine chantant « burn nigger burn’’.

F.A. : Il y a dans votre musique l’idée d’une transmission autour d’un patrimoine, celui d’une culture indissociable d’un discours politique. En quoi cela vous semble-t-il si important aujourd’hui ?

D.F.-A. : Les faits m’intéressent, certes, mais ce qui m’importe le plus c’est surtout de mieux comprendre les impacts des évènements et les états d’esprits qui en découlent et persistent jusqu’à aujourd’hui. L’histoire n’est pas obligée de se répéter mais cela requiert des efforts conscients qui partent du cœur.

F.A. : Comment un didgeridoo s’est-il frayé un chemin jusqu’à votre studio ? Qu’est-ce sa vibration amène sur le morceau « Where there is the smoke » ?

D.F.-A. : Comme les signes précurseurs de la révolution, la fumée nous alerte du feu sans nous agresser. Cette envie de révolution qui part du plus profond de l’humanité est un bruit sourd qui nous habite tous en tout temps, que l’on choisit d’entendre ou de faire taire. Le didgeridoo a cette capacité de créer des vibrations autant ancrées dans nos pieds que dans notre spiritualité.

F.A. : Quelle est votre approche de la scène ? Quel aspect de votre musique souhaitez-vous mettre en avant par rapport à la musique produite en studio ?

D.F.-A. : La scène est une bête que j’apprivoise encore mais elle est pour moi la chance de vivre une expérience humaine et d’offrir une promenade qui a commencé dans la nuit et s’en va vers le soleil.

François Armand

Dominique Fils-Aimé  / Stay Tuned! (Canada | 22 février 2019)

Copyright photo : Kevin Millet

Copyright artwork : Kevin Millet / Siou-Min Julien

 

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