Le décès foudroyant de Kevin Garcia, bassiste de Grandaddy, est certainement une bien mauvaise manière d’amorcer un article sur le quintet originaire de Modesto. Mais si cet événement a autant marqué son public aimant, c’est bien la preuve que Grandaddy est sans doute le groupe de rock – ou plutôt devrait-on dire la bande de potes – le plus touchant qu’il nous a été donné d’écouter depuis sa naissance, en 1995.
Sa normalité d’homme, aux gestes doux dans un corps brut, au look banal, faisait de Kevin Garcia, comme ses bandmates, une anti-star ultra attachante. Cette image a largement contribué (pour ceux qui les ont vus sur scène et dans les livrets de leurs disques) à l’esprit Grandaddy : de vieux ados skateurs un peu rêveurs qui font de la musique comme d’autres pratiquent le canevas, l’ébénisterie ou n’importe quel loisir d’artisan avec passion et délicatesse. Tout en contrastes, la musique de Grandaddy se décline le long de petites symphonies qui doivent autant à la power pop qu’au folk et à la vague synthétique des années 80.
Jason Lytle est le dictateur doux de cette bande de nounours qui, en concert, ne cillent jamais, à l’image du batteur Aaron Burtch, clope vissée au bec, barbe et abdos Kro de papa Noël. En studio, on imagine Lytle, bidouillant patiemment ses sons de synthétiseurs vintage et ses distorsions molletonnées en écoutant Neil Young et E.L.O (deux influences majeures), bûcheron adepte de caviar mélodique, de solos de guitare excédant rarement les trois notes. Toute la musique de Grandaddy est imprégnée de cette lumière écrasante que déverse non stop le soleil californien, à la fois rugueuse et acidulée, en un mot boiteuse.
Cette science du déséquilibre, le pastoral (les guitares sèches, le lyrisme fragile) et l’urbain (les guitares grasses, les rythmiques ultra binaires) se retrouvant dans une drôle d’harmonie, c’est Grandaddy. Une musique d’adultes jouée par d’éternels gamins qui auraient grandi trop vite.—
François Corda
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