Logan
James Mangold

Logan fait beaucoup d’efforts pour ne pas ressembler à un film de super-héros comme les autres. Mission accomplie ou coup d’épée dans l’eau ? Ivann et François sont divisés.

 

Ivann Davis : Je dois préciser en préambule que je ne suis pas friand de films de super-héros. J’ai découvert Hugh Jackman au cinéma dans le premier X-Men, ses airs de Clint Eastwood et son attitude badass m’avait complètement séduit. C’est mon personnage préféré des Marvel, mais pour autant je n’ai pas vu Wolverine : le combat de l’immortel qui me semblait vraiment mauvais. Avec Logan, James Mangold retrouve Hugh Jackman dans une relecture du mythe du super-héros où la famille (sujet central chez les X-Men) est ici réduit à l’essentiel, un père, sa fille, et d’une certaine façon, le grand père. L’ambition du réalisateur est clairement d’explorer la dimension humaine des super-héros. Nous ne sommes plus face à un repli communautaire, d’une grande famille de mutants rejetant en bloc l’humanité mais d’ une famille à échelle humaine et ouverte aux dialogues (à l’image du repas chez les fermiers) ce qui va lui permettre de tisser des liens émotionnels bien plus forts entre les personnages et d’aborder un certain nombre de sujet comme la maladie, la vieillesse ou encore la parenté. Tu n’as pas été sensible à cet aspect ?

François Corda : Pas du tout. Il me semble avoir perçu chez Mangold (auteur du déjà surestimé Copland il y a 20 ans) cette volonté de dépasser les enjeux habituels de ce type de superproduction en proposant quelque chose de plus rugueux et humain, mais le problème réside dans son incapacité à rendre crédible ce lien de filiation (les deux personnages n’entretiennent au final aucune relation pendant la plus grande partie du film) et le personnage d’homme blessé de Wolverine. Hugh Jackman est très bon, aucun doute là dessus, mais la partition qu’il a est au final très binaire. Ours au coeur tendre, bon… Je préfère me revoir Terminator 2 quoi.

ID : Je reconnais que les enjeux liés à la sa paternité non assumée et le lien affectif qui en découle aurait put être plus approfondi. Hugh Jackman est en effet très à l’aise dans ce rôle, il m’a rappelé Clint Eastwood dans Impitoyable, ce vieil homme n’ayant plus envie de se battre mais confronté de force à la violence. Le réalisateur reprend le mythe du héros vieillissant et le transpose dans un western contemporain référencé, comme en témoigne cet extrait de L’Homme des vallées perdues (1953) qui passe dans la chambre d’hôtel et certains décors typiques (le désert, la vallée, la ferme, les bois) mais aussi un film décomplexé empruntant à Baby Cart : L’enfant massacresa thématique et son gore assumé ou comme tu le soulignais à Terminator son rapport à l’homme machine. C’est en partie pour ses raisons que j’ai aimé le film, ses références sont mes références.

FC : Oui, Logan est un film très référencé. Trop référencé ! Terminator c’est évident, mais aussi Morse (à tel point que la fille de Logan ressemble comme deux gouttes d’eau à l’héroïne du film suédois !). Il y a une ambiance dans Logan, c’est indéniable, un beau travail sur les décors et les lieux de tournage. Mais le facteur humain est traité, à mon avis, avec beaucoup de légèreté. Je n’ai pas cru un instant à la fragilité supposée de Logan, représentée ici par une soi-disant addiction à l’alcool, dont on ne verra, au final, aucune conséquence. Sa déchéance reste très limitée… Je n’ai pas ressenti ce tiraillement de Logan entre sa part d’humanité, très enfouie, et ses capacités surhumaines. Et puis le reste des personnages, c’est quand même du décorum. Où est le grand méchant ? Deux apparitions, une prothèse et puis s’en va. Les scènes d’action sont plutôt efficaces (même si j’émets beaucoup de réserves concernant celles impliquant Magnéto) mais que tout cela est finalement cadré, prévisible… On aurait voulu un peu de folie (tu parles de gore mais je n’en ai trouvé aucune trace) de vraie noirceur, tant dans les situations que le scénario. Tout semble très calculé : un peu de violence, mais pas trop, un peu de badass mais pas trop, un peu de crasse mais pas trop non plus. Rien ne déborde. Ce n’est pas honteux. Mais au final, rien ne vaut un bon Man of Steel de Snyder, qui, lui, au moins, assume son statut de pur entertainment inoffensif mais très bien mené, et avec de vraies idées esthétiques (les combats, notamment, étaient incroyables).

ID : Moi j’y ai cru, au contraire. J’ai trouvé le personnage de Logan très bien écrit, avec un soin tout particulier accordé aux détails. Les cheveux hirsutes, la barbe, son regard, sa démarche, un véritable chien battu, un homme fatigué par la vie, entre faux espoirs et vrais désillusions qui sombre dans l’alcoolisme pour mieux supporter son quotidien. J’ai toujours eu un faible pour ces personnages, ces sublimes ratés, ces marginaux attachants comme Mickey Rourke dans Barfly (1987) ou Nicolas Cage dans Leaving Las Vegas (1995). Tu n’as trouvé aucune trace de gore ? Moi j’ai été très surpris par le côté sanglant qui tranche radicalement avec l’esthétique de la saga. La fille de Logan est la première à s’en donner à cœur joie dans les démembrements et autres réjouissances. C’est un film noir, on nous dépeint un monde violent qui n’épargne personne, ni les malades, ni les vieux, ni les jeunes, ni les honnêtes gens. Un changement de ton qui est le bienvenue et radicalement opposé au discours plutôt aseptisé de la saga à l’image d’un Cyclope fringuant dans sa combinaison bien propre. J’ai aimé ce côté crasseux, ça sent la sueur et la poussière, on est plus proche d’un western spaghetti que des 4 Fantastiques. Je n’ai pas du tout aimé Man of Steel et même si la dimension auteurisante prétendue de Logan est à mon avis exagérée, Mangold réussit néanmoins à injecter de la réflexion dans un blockbuster, tout cela en donnant un coup de pied au cul à l’univers Marvel, nous prouvant que le renouvellement est possible !

FC : Eh bien justement, tu parles des espoirs et désillusions de Logan, je me demande bien lesquels ! Le personnage est clairement présenté comme fini, et on ne sait pas (et ne saura pas) ce qui le raccroche à la vie. Logan se veut noir, mais il n’y a, selon moi, pas de fond, juste un imaginaire, une imagerie même, qui se réclament sans cesse comme pré-apocalyptiques en insistant, comme tu le dis, sur des détails pour « faire comme si ». Comme si Logan était vraiment au fond du trou, dans une impasse existentielle (la posture, l’alcoolisme, le déni de parternité), comme si Magneto était vraiment un papi gâteux (les pilules, l’incontinence énergétique). Mouais. Nolan est passé par là (concernant le renouvellement du monde du super-héros, plus dur, plus sombre) avec ses Batman, pour le meilleur et pour le pire, mais il a clairement plus de talent que Mangold en tant que metteur en scène. Mangold pastiche, Nolan cherche. Je préfère la démarche du second, même si elle tourne à vide par moments. Concernant le gore, c’est étrange, tu as raison, je me souviens qu’il y a bien ces scènes d’amputations etc, mais la question que je me pose, c’est pourquoi, quelques semaines après son visionnage, il ne me restait rien ou presque de cette violence. Sans doute parce que son cadre, ses victimes, me sont indifférentes, et que sa mise en scène est aseptisée ou déjà vue. Il y a de toute façon une vraie banalisation de la violence désincarnée aujourd’hui, chaque thriller, chaque film d’action se doit de nous servir son lot de barbarie. Mais s’il n’y a pas de projet esthétique derrière, de facteur humain, je ne me sens pas retourné. Je ne dis pas que la violence de Logan est gratuite, mais inoffensive, ça oui. Bref, j’attends encore le film de super-héros réellement délétère et malsain. The Dark Knight : Le Chevalier noir laissait entrevoir ce à quoi cela pouvait ressembler mais c’était trop inégal pour que j’en garde quoi que ce soit. Le sommet dans le genre ne resterait-il pas Batman : Le Défi de Burton ?bub

Ivann Davis et François Corda

bub

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Logan de James Mangold (Etats-Unis, 2h21)

Date de sortie : 1er mars 2017

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