Kill List
Ben Wheatley

—–DeterreIl serait facile de voir dans Kill List un pur exercice de style qui, à force de se diluer dans le mélange des genres (drame familial, gore, thriller, comédie), se révèlerait insipide. Pourtant quelque chose pointe derrière ce qui semble n’être qu’un procédé d’apparence, quelque chose qui se transmet au spectateur comme un virus, jusqu’à le conquérir tout à fait. Ce quelque chose, c’est une double fascination, pour le monstrueux et le grand-guignol, à laquelle se voue ce jeune réalisateur anglais, Ben Wheatley. Bonne idée, cela fait de Kill List, plus qu’un pot pourri, un bel objet singulier.

Deux chiens qui aboient, c’est l’image qui nous saisit dès le début du film lorsque l’on voit s’étriper Jay et Shen, couple qui, malgré la belle maison de banlieue, a du mal à joindre les deux bouts. L’instant d’après ils ont l’air de gamins quand ils se roulent dans l’herbe avec leur fiston. Drôles de phénomènes… Lors d’un dîner Jay se voit proposer en douce par son ami Gal de remplir un contrat de tueurs à gages, histoire de renflouer les caisses. Accompagné de son amie Fiona, à la plastique parfaite et au visage androgyne, Gal et son visage ravagé complètent ce tableau inaugural d’une longue galerie de trognes ou de caractériels dont est peuplé Kill List.

Extérieurement ou intérieurement, les personnages de Kill List sont douteux, biscornus et surtout pas mal dérangés. Ainsi, même propres sur eux, Jay et Shen sont bel et bien ignobles : lui peut se révéler être d’une brutalité inouïe, tandis qu’elle met volontiers toute forme de morale au placard pour que l’argent rentre dans les caisses. Dans Kill List, il faut se méfier des apparences. On peut être un tueur avec une sale gueule et être un ami fidèle, aimer sa femme, son gosse et devenir le pire des bourreaux. Le prêtre, premier de la liste en question et certainement pas la dernière des crapules, est là pour le prouver. Finalement le credo de Wheatley c’est de pousser le bouchon en matière de situations extrêmes : ce qui ne devrait être qu’un « simple assassinat » vite réglé devient ainsi une torture interminable lorsque Jay fait face aux réactions aberrantes de sa victime. Une planque dans une forêt se transforme en boucherie face à une secte dont les membres, nus, portent des masques effrayants et s’adonnent à un rituel pour le moins malsain.

Wheatley s’amuse avec les limites. Quel que soit le registre dans lequel il officie, il force le trait, joue le jeu jusqu’au bout (il n’y a pas d’engueulades mais des pugilats, pas de discussion animée mais des hurlements, tout est à l’avenant) pour changer brusquement de braquet : les frontières stylistiques disparaissent les unes après les autres. Si bien qu’on rit d’une mise à mort, on se surprend à trouver attendrissant un fumier (Gal, mal en point dans des égouts). Et si les intentions du réalisateur ne sont pas franchement claires (jeu ?, hommage ?, potacherie ?) il faut reconnaître que, plus le temps passe, plus on s’attache à ces deux assassins un peu largués et à leur histoire improbable.

Film de monstres, qui aime à dépeindre des personnages atypiques, aussi humains que dégénérés, monstrueux film, qui, dans sa forme, n’est pas loin du n’importe quoi mais y échappe de justesse grâce à un évident second degré, Kill List est l’œuvre d’un cinéaste qui croit à la porosité des genres, ne s’impose aucun cadre franc, qu’il soit d’ordre formel ou scénaristique. Ce deuxième film nous laisse penser que cet anglais là peut produire le meilleur, certes, mais ne doutons pas qu’à jouer avec le feu, il risque aussi le pire…

François Corda

 

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Kill List de Ben Wheatley (Grande-Bretagne ; 1h35)

Date de sortie : 11 juillet 2012

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