Vanupié présentait il y a peu son nouvel EP Janus sur la scène de La Batterie de Guyancourt. Au début d’une nouvelle tournée, l’artiste se confie à Bub sur son rapport à la musique et sa démarche avec une grande générosité.
François Armand : Janus était un Dieu Antique dont la fonction était liée aux choix. Il avait deux visages. C’est aussi le titre de ton nouvel EP. Y a-t-il un lien avec la mythologie ?
Vanupié : J’ai choisi d’appeler cet EP Janus pour plusieurs raisons. La première, et la plus importante, est que le titre Janus s’adresse à une femme dont le nom de famille est « Janus ». En faisant mes recherches sur ce nom que je trouvais somptueux, j’ai tout de suite trouvé des infos sur le dieu Romain à deux visages… ainsi, même si c’est sans doute aussi mon cas, comme celui de beaucoup d’artistes qui ne peuvent faire autrement que de partager leur temps entre rêve et réalité, ce qui m’a tout de suite parlé est plutôt le fait qu’il soit le Dieu du commencement et de la fin. En effet, Janus est le fruit d’une longue recherche de « couleur » musicale que j’entreprends depuis plus de 10 ans. Aujourd’hui, j’ai trouvé le son que je cherchais. C’est donc la fin d’une quête, et le début d’une nouvelle aventure. Janus est aussi le mois de Janvier et c’est mon mois de naissance… ce titre m’a donc semblé être une évidence. Je ne l’ai pas vraiment « choisi ».
F.A : Dans Janus, il y a un aspect pop/folk qui donne une perception un peu différente pour l’auditeur habitué au reggae « classique ». Quelle était l’idée directrice quand toi et tes musiciens êtes rentrés en studio pour enregistrer ?
V : Je travaille seul pendant toute la phase de création (3 ans sur ce dernier Album). Je joue tous les instruments et arrange moi-même chaque version. Basse, Batterie, guitares, claviers, voix, cuivres… etc. Ensuite, j’amène mes prods à Flox avec qui je travaille depuis le premier album (2013 – Freebirds). Il écoute et me dit ce qu’il en pense avec un regard toujours très pertinent. Nous discutons un long moment (plusieurs semaines) sur tous les aspects de la production puis, il récupère mes prods, travaille seul dans son coin et me propose une direction. A partir de là, nous travaillons ensemble sur la production, les prises de sons, etc. En général il joue les batteries, les basses et les claviers, souvent aussi certain de mes chœurs puis il fait le mix et jusqu’à maintenant (c’est le cas sur Janus), le mastering. Pour l’enregistrement d’un album (Freebirds, Gold… ), l’avant dernière étape (avant le mix et le mastering) consiste à ré-enregistrer avec des musiciens. Il s’agit souvent de mes musiciens de scène : sur cet album : Jeff Ludovicus et Tao Erhlich aux batteries/percussions, Gael Cadoux aux claviers, Nordine Houchat à la guitare et Xavier Sibre au saxophone. Mais pour Janus, nous avons tous deux fait le choix de garder les prises que nous avions faites, Flox et moi-même. Ainsi, toutes les basses, batteries et claviers sont entièrement interprétés par Flox, j’ai fait les guitares et la voix bien sûr. Du coup, pour répondre précisément à ta question, je choisis seul pendant les trois années de préparation, toutes les couleurs de chaque morceau… et je mets dedans tout ce que j’aime. Cela peut aller de la pop la plus sucrée à l’électro un peu vénère, en passant par une ballade guitare voix un peu minimaliste…. Je ne m’impose aucune règle sauf celle d’être sincère afin de transmettre une émotion réelle.
F.A : Quelles sont tes influences principales dans le reggae ? Mettons que je n’y connaisse pas grand-chose au reggae, en quoi ces groupes ou artistes sont importants ?
V : Mon truc à moi c’est beaucoup plus la pop que le reggae. En reggae, je n’y connais pas grand-chose (rires). Je peux donc te parler des artistes qui jouent aussi du reggae et que j’aime, ceux qui m’ont influencé et te dire pour quelles raisons ils sont important pour moi mais, hormis Bob Marley, j’aurai beaucoup de mal à te dire en quoi (ou même « si ») ils sont « importants» dans l’absolu. J’ai commencé à 11 ans avec Legend de Bob Marley. Avant ça j’étais un vrai grand fan de Michael Jackson, mais il ne fait pas de reggae alors je garderai ce que je pense de lui pour moi … pour l’instant. C’est ma vraie rencontre avec le reggae je pense, mais je ne classais pas encore la musique dans ma tête à cette époque. Je trouvais que c’était un peu pareil que Michael en fait, dans un autre style. Des chansons fortes, de vraies mélodies qu’on n’oublie pas… A l’époque je ne comprenais pas l’anglais mais je connaissais les textes de l’album par cœur. Plus tard, même si ce n’est pas vraiment du reggae j’ai découvert Ben Harper, (si si , il y a un morceau très reggae : Jah Work), Patrice, je devais avoir 22 ans : J’ai pété un plomb ! Ensuite, Morgan Heritage, Flox, Groundation, Nazio Fontaine, Matysyahu, Damian Marley. Toujours pareil, peu importe le nom que l’on met sur leur musique, j’ai été frappé en plein cœur par la puissance du flow ragga/reggae, des textes et de l’univers lumineux de ces artistes ensoleillés. Je suis allé fouiller dans les Caraïbes plusieurs années par passion de la découverte, j’y ai démarré mes dread locks… C’est sans doute ce qu’il y a de plus reggae chez moi, et ce que j’ai de plus précieux sur moi. Bob Marley appelait ça des « antennes », je suis d’accord. S’il y a un truc super avec le reggae et tout l’univers qu’il y a autour de cette musique, c’est qu’elle rassemble les cœurs et apaise l’âme. C’est en cela qu’elle est importante pour moi.
F.A : Est-ce qu’il y a des artistes qui comptent aussi pour toi en-dehors de cette sphère, dans leur approche de la musique ou dans leur musique elle-même ?
V : Comme je te le disais précédemment j’ai beaucoup plus d’influences venant d’autres horizons que le reggae. Dans le désordre je dirais Michael Jackson, Joe Cooker, Janis Joplin, Ben Harper, Simon and Garfunkel, Keziah Jones, D’angelo, Julien Loureau Groove Gang, Matthieu Chedid, Jimy Hendrix, Daft Punk, K’s Choice, Skrilex, Flox, Fink, Rihanna et Damian Marley… pour ne citer que les plus importants. Je ne m’empêche jamais de mettre quelque chose que j’aime dans ma musique.
F.A : Quelque chose de très direct se dégage de ta musique. Il semble que ça corresponde aussi à ta manière d’envisager ton métier de musicien, vrai ou faux ? Comment passe-t-on des Solidays aux couloirs du métro à Châtelet par exemple ?
V : Euh….. joker. Je n’ai pas vraiment choisi de faire de la musique. C’est, depuis l’enfance, aussi important que l’air que je respire. Je n’y peux pas grand chose. Un concert pour moi, que ce soit sur le merveilleux festival Solidays ou dans les couloirs crasseux du métro Parisien, c’est une sorte de pièce que je « fabrique » avec les gens… Plus ou moins grande en fonction de ceux qui souhaitent y entrer (elle est extensive à l’infini, c’est l’avantage), presque capitonnée… C’est sans doute l’endroit où je me sens en sécurité sur terre. Ça peut sans doute paraitre un peu cliché de dire cela et pourtant, la seule chose qui compte c’est l’amour et la bienveillance qui se dégage d’autant de personnes en même temps et au même moment. Un cœur géant qui bat en rythme avec la musique. Je ne sais pas si c’est direct mais pour moi il n’y a pas plus intime alors je ne vois pas l’intérêt de faire de détours. J’ai la réelle impression de bien connaitre les personnes qui écoutent ma musique. Un jour, Flox m’a dit : « Ton public te ressemblera »… et il avait raison. Aujourd’hui, je me sens presque en famille, et à chaque représentation, on se rapproche un peu plus. Cela m’aide sans doute à parler franchement. De plus, je passe beaucoup de temps en dehors des concerts à discuter avec les personnes qui m’écoutent, soit après les shows, soit sur internet par le biais de Facebook ou Instagram. Il y a aussi toutes ces personnes qui jour après jour, hiver après hiver, ont écouté chacune de mes notes dans les couloirs du métro … Certaines relations sont devenues au fil du temps de véritables piliers dans ma vie sentimentale. Ainsi, lorsqu’on se retrouve, les rapports sont forcément plus directs qu’avec des inconnus.
F.A : Quand on écoute tes chansons et qu’on regarde tes vidéos, on fantasme sur un mode de vie « bohème ». A quel point ta musique et ton mode de vie sont-ils imbriqués ?
V : Haha ! Tu n’imagines pas !! Euh…. c’est l’inverse qu’il faut me demander. « Sous quels aspects ta vie ne s’imbrique-t-elle pas avec ta musique ? » (rires). En effet, ça revient sans doute à demander à Raël s’il arrête de croire aux extraterrestres de temps en temps..! Je pense ne pas avoir assez de recul pour analyser cet aspect de ma vie de façon objective mais je me rends bien compte que je ne peux même pas répondre à cette dernière question que je viens de me poser à moi-même. Il faudrait aussi que je saisisse ce qu’est précisément une vie de Bohème, (on met souvent n’importe quoi dans ce genre d’expression) mais j’imagine être assez proche de l’imaginaire collectif. Pour être précis : je ne possède rien à part les disques que j’ai produits, mes instruments de musique, et le matériel qui me sert à les enregistrer. Je n’ai pas de voiture, et toutes mes fringues tiennent dans un sac de voyage. J’habite un tout petit appartement que je loue depuis plus de 10 ans dans le centre de paris, et j’y passe tout mon temps quand je ne suis pas en concert dans le métro ou ailleurs car il me sert de studio d’enregistrement. J’aime ne pas posséder grand chose car cela me permet de me sentir libre. Mais cela ne m’empêche pas d’apprécier au même titre le confort, les belles choses, l’art dans toutes ses formes, l’architecture, la mécanique, les sports extrêmes, la technologie, et toutes les choses merveilleuses que l’être humain est capable de construire, d’ériger, d’inventer… du moment que ça ne fait pas de mal aux gens … ou aux animaux (rires). Je n’ai pas beaucoup d’argent car tout ce que je gagne me sert à produire ma musique ou celle des artistes dont je m’occupe (d’ailleurs Meylo sort bientôt son premier E.P.) Mais j’ai une vie très remplie et je ne me couche jamais avant 4h du matin. Je suis réveillé tôt et je travaille toute la journée. Tous les jours. Toute l’année. Voilà, je ne sais pas si tout cela est cohérent ou pas avec une vie de bohème, mais ce qui est certain, c’est que nous avons au moins une belle chose en commun : la liberté.
F.A : Il y a un écho tout particulier pour le reggae en France. Toute une culture s’est développée autour des artistes Jamaïcains et de toute la mythologie qui va avec. C’est un constat que tu fais aussi ou est-ce une idée reçue ?
V : Il me semble qu’on peut dire que c’est un fait. À ceci près que j’élargirais ton propos à l’Europe. Beaucoup d’artistes de reggae Jamaïcains, Hawaïens, Américains, Anglais… viennent en France mais aussi en Allemagne, en Espagne (Rottotom !!!!), en Italie, Portugal… Je pense que tu n’es pas le seul à remarquer qu’il y a un vrai engouement ici en France, d’un public très large, beaucoup plus que ce que l’on a tendance à croire, pour le reggae. C’est d’ailleurs ce qui a fait que j’ai pu gagner ma vie en jouant dans la rue pendant dix ans. Si tout le monde s’en foutait, je ne pense pas que je serais en train de répondre à tes questions aujourd’hui. Tous les artistes internationaux, reggae ou pas, que je connais, adorent jouer en France car le public est super et les conditions de concert exceptionnelles.
F.A : Comment Vanupié, dont la musique est positive et pleine de douceur, se situe dans le contexte actuel (en France ou dans le Monde), plutôt tendu et incertain ?
V : Ben comme tout le monde !! (rires) Je fais avec !! Je plaisante bien-sûr. En réalité, je n’ai pas cet avis. Tendu ? Oui, mais pas plus qu’il y a deux cents ans il me semble… Non ? Incertain ? Penses-tu que nous pouvons imaginer un jour caresser l’idée d’être certain de quoi que ce soit ? Personnellement je vois de l’amélioration. Si, si. Je te promets. Quitte à passer pour un optimiste, je vais me lâcher et dire que j’ai plutôt l’impression que ça va de mieux en mieux. Il me semble en effet que si on décide de répondre à ta question en prenant une échelle de temps un peu plus large qu’une génération, on a plutôt bien évolué. Je te vois venir : « on bousille la planète, il y a des guerres partout, les gens crèvent dans la rue en bas de chez moi, Trump est président, les japonais se payent des potes en location, les éléments nous en font voir de toutes les couleurs… et la liste ne s’arrête plus… ». Mais. Oui, il y a un gros « MAIS » : selon moi, en face de chaque personne qui essaye de « foutre la merde », là où il y a deux cents ans il n’y avait qu’une seule personne, il y en a dix aujourd’hui. Je vois des êtres humains qui décide d’imiter la nature plutôt que de l’exploiter, des défenseurs des animaux qui se regroupent pour faire fermer des abattoirs, des gens qui manifestent, qui se battent pour faire respecter les droits de ceux qui n’en ont pas ou pas assez, des artistes merveilleux qui poussent dans tous les coins du monde, je vois des idées d’avenir devenir à la mode et se tailler la part du lion. Je vois l’écologie, les prothèses bioniques, j’ai le sentiment qu’aujourd’hui plus de personnes ont la possibilité d’accéder à la connaissance, que la liberté est une idée que l’on continue de défendre un peu partout dans le monde et que les puissants le sont en réalité de moins en moins. L’évolution est difficile à voir tant elle est lente mais je suis confiant. Alors ma musique dans tout ça, franchement… euh, et bien, si pour toi elle veut dire douceur et positivité, et j’en suis très heureux, elle me semble accompagner à merveille cette belle progression vers un monde plus beau, plus juste, et toujours plus passionnant.
F.A : Le BUB s’intéresse à la musique mais aussi au cinéma. Celui-ci tient-il une place dans ta vie ? Les images font elles partie du processus de création ?
V : T’as eu l’info avoue ?!! (rires). Grâce à toutes les personnes qui me suivent et qui ont un cœur énorme, j’ai l’immense bonheur de pouvoir travailler depuis deux ans à l’écriture d’un scénario, tiré d’un livre que j’ai écrit et qui n’est pas encore sorti, avec une scénariste exceptionnelle. Le travail avance bien et nous allons bientôt présenter la deuxième version du scénario au réalisateur. Malheureusement, et bien que j’aimerais vraiment pouvoir t’en dire plus je ne peux révéler encore aucun détail de cette partie de mon travail. Je peux te dire que c’est un long métrage, que c’est à propos d’un sujet de société qui me touche personnellement, beaucoup, et que j’espère de tout mon être que cela permettra de faire bouger un peu les choses. J’aime la musique, c’est certain, parce qu’elle me fait rêver, mais le cinéma me fait partir dans les étoiles.
François Armand
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Vanupié / janus (France | 2 novembre 2017)
Copyright photo : Jean-Philippe Gimenez
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