GILLES MARCHAND
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FocusDrôle de trajectoire que celle de Gilles Marchand, d’abord connu comme étant scénariste de l’ex-grand espoir du thriller made in France, Dominik Moll, (génial Harry, un ami qui vous veut du bien, facétieux Lemming). Ce dernier ne s’étant à ce jour jamais relevé de l’échec cuisant du Moine (2011), c’est Marchand qui semble avoir pris la relève, à la façon d’un passage de témoin, d’un certain type de cinéma à la forme certes classique, mais qui soutient des récits tordus comme on n’en voit que trop rarement dans le cinéma français.

Le délicieusement pervers Qui a tué Bambi ? (2003, déjà) laissait pourtant augurer que Marchand resterait à jamais dans l’ombre de son mentor et de ses obsessions (acteurs troubles, ambiance flottante entre drame et comédie) tant la convergence entre ce premier film et l’œuvre de Moll était évidente. Que nenni ! L’Autre monde (2010) et surtout Dans la forêt, sorti cette année dans une discrétion aberrante, sont là, malgré leur statut usurpé de petits objets arty dénués d’âme, pour démontrer que Gilles Marchand a désormais troqué ses habits de scénariste et dialoguiste malicieux contre ceux d’un réalisateur obsédé par les univers mentaux et/ou physiques parallèles, auxquels il prête une plasticité chaque fois singulière. Le tout emballé dans une noirceur affirmée, étrangère au cinéma de Moll.

Le blanc, les couloirs et les chambres lisses de l’hôpital de Qui a tué Bambi ? cachent une forme d’altérité, celle d’une partie du personnel, plus concerné par la séduction et le pouvoir (Laurent Lucas, trait d’union entre les deux réalisateurs) que le soin des patients.  Dans L’Autre monde, des péripéties se situant dans un jeu en ligne, Black Hole, occupent une partie non négligeable de la durée du métrage, et figurent le miroir sombre d’un environnement  ensoleillé (le Sud de la France en plein été) et de personnages lisses, beaux et sans problèmes. Le dit-jeu est ainsi en noir et blanc, l’ambiance y est glauque et pluvieuse, peuplée de freaks.  L’ambiance futuriste et délétère de Black Hole (la référence au roman graphique de Charles Burns est d’autant plus évidente que l’intrigue repose sur un couple d’adulescents confrontés à des adultes absents et irresponsables) installe un trouble permanent jusqu’à en pervertir le monde réel de Gaspard, qui se rapproche de plus en plus, les jours passant, de la sordidité de Black Hole.

Quant à Dans la forêt, la première évidence est que Gilles Marchand a trouvé dans les décors anxiogènes offerts par la nature Suédoise, symbolisant à la fois l’idéal du père (le rejet de la vie urbaine et ses turpitudes) et ses tourments psychiques, un superbe terrain de jeu, à la fois cinéphilique (la réclusion de Shining, la perte de repères de Blair Witch Project) et esthétique (la cabane perdue au fond des bois, les lacs gris et inquiétants). Gilles Marchand, dans la lignée de L’Autre monde, se montre aussi plus concerné par des problématiques sociologiques que Dominik Moll (la désociabilisation par l’addiction dans L’Autre monde, les dommages collatéraux du divorce dans Dans la forêt). Jamais dans la dénonciation simplette ou le surlignage, ces enjeux restent au contraire en filigrane, et sous-tendent un récit souvent plus orienté vers le thriller.

Le mystère au cinéma est une notion souvent rattachée à l’œuvre de Lynch, mais surtout totalement absente du cinéma français contemporain. Gilles Marchand fait à ce titre figure d’exception, et la presse comme le public lui rendent bien mal, sans doute parce que Marchand, s’il ne renie pas la tension psychologique, garde un goût immodéré pour les eaux troubles, le double sens, qui se traduit dans l’issue de ses films par une sensation d’inachevé (notamment dans Dans la forêt) aussi belle que frustrante. Avec les années Gilles Marchand se construit une solide réputation de conteur mortifère, et on a hâte de voir sur quels chemins cette carrière va désormais le conduire, après l’hôpital, le jeu vidéo et maintenant le gigantisme d’une nature peu amène.

François Corda

 

Qui a tué Bambi ?, L’Autre monde, Dans la forêt de Gilles Marchand

Dates de sortie : 17 mai 2003 / 14 juillet 2010 / 15 février 2017

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