Où sont les femmes : bilan cinéma 2016
François Corda

FocusEt si tous les meilleurs films de 2016 s’étaient appelés, aussi sobrement que celui de Paul Verhoeven, Elle ? Mis à part Diamant Noir, film de mâles, et The Wave, tourné vers la famille et la communauté, les femmes auront été au centre de toutes les attentions des réalisateurs de notre top.

Rien de neuf chez Justine Triet puisqu’elle nous avait déjà présenté, dans La Bataille de Solférino, une Parisienne au bord de la crise de nerfs, se débattant entre enfants, boulot et ex. Victoria, le personnage et le film, s’inscrivent dans cette ligne, la sublimation du chaos. Victoria est un refuge pour toutes les âmes en peine, elle les attire comme le miel les abeilles, sans doute par son charisme et sa beauté naturels, quand, elle, doit se débrouiller seule pour se sortir de ce gigantesque bordel qu’est sa vie au quotidien. Femme forte, femme perdue. La dichotomie est belle, et le film alterne avec une vraie délicatesse petit drame quotidien et gags décalés.

Rien de neuf non plus du côté des Dardenne, qui n’en sont pas à leur galop d’essai concernant les portraits de femmes. Mais cette Jenny, médecin sacerdotale, est sans doute la plus forte d’entre elles, humaniste jusqu’au bout des ongles, roc buté auquel Adèle Haenel prête son visage dur et sa voix masculine avec beaucoup de foi. La femme entêtée de La Terre et l’Ombre pourrait être le miroir vieillissant de l’héroïne Dardennienne, prête à tout (y compris sacrifier son fils) pour garder sa maison perdue au cœur d’une culture de champs de canne à sucre, contre vents et marées (le travail harassant et mal payé, la maladie respiratoire de son fils). Femme de l’ombre, asséchée, elle cristallise une forme de solitude amère, d’avoir trop porté seule pendant trop longtemps une responsabilité de chef de famille.

Il faut se rappeler que Verhoeven aussi travaille en creux depuis longtemps (Basic Instinct, Showgirls, Blackbook) une forme de modèle féminin, entre victime et prédatrice. Ainsi, la Michèle Leblanc de Elle est une chef d’entreprise que rien ne semble atteindre, pas même un viol à son propre domicile. Robocop des sentiments, elle a littéralement annihilé le caractère de son fils, devenu soubrette d’une dictatrice en herbe. En découle une série d’événements aussi absurdes que drôles, aussi inattendus que déconcertants. On est loin du Verhoeven américain, mais sa relecture du cinéma français, où l’on croise le fantôme de Chabrol, est purement jouissive.

Aux antipodes de Michèle Leblanc, se trouve la fragile et diaphane Harley, droguée, sans toit ni loi, comme pouvait l’être la Sandrine Bonnaire d’Agnès Varda. Dépendante à l’héroïne, Harley rend accros les hommes qui l’entourent, Mike et Ilya. Les frères Sadfie font état, avec Mad Love in New York, d’un double portrait, celui d’une ville perçue du côté des marginaux, et de l’une de ses égéries, cette Harley qui partage sa vie entre mendicité, amour et seringues de la façon la plus naturelle qui soit. Parcouru d’une musique cosmique, de l’électro oubliée des années 70, Mad Love in New York se révèle comme étant l’un des voyages cinématographiques les plus nébuleux, psychédéliques, qu’il nous a été donné de voir depuis longtemps.

Dans sa description inlassable d’une société iranienne dominée par les hommes, Asghar Farhadi a toujours laissé une belle place aux femmes. Le Client ne déroge pas à cette règle, et plus que jamais Rana influence le comportement de son mari, censé représenter une forme de modernité, mais finalement coincé, malgré lui, dans un carcan culturel, celui du paternalisme, que sa femme semble avoir dépassé. Si bien que dans la résolution de cette agression sexuelle qui est au cœur du Client, on en vient à se demander si Emad enquête et juge pour sa femme ou pour lui, son honneur d’homme. C’est cependant Rana qui aura le dernier mot lors d’un finale parfaitement étouffant, aboutissement d’un thriller psychologique dont le réalisateur iranien est définitivement l’un des maîtres actuels.

Ten Cloverfield Lane clôture ce compte-rendu. Et l’ironie veut que ce soient précisément l’ouverture et le finale de ce premier long-métrage qui restent particulièrement en mémoire, presque un an après sa sortie en salles. Scénarisé par Damien Chazelle, qui ouvre cette nouvelle année avec La La Land, Ten Cloverfield Lane présente une femme mystérieuse et gracieuse, qui se dessine à nouveau comme une célibataire, démontrant cette fois ses qualités de résistante et de détermination en jouant des coudes entre un complotiste soupe au lait et un jeune homme inhibé au sein d’un bunker. Si l’esprit est globalement celui du thriller, la tonalité dramatique de l’introduction, très élégante, avec son utilisation surprenante du score, et la conclusion, en forme de coup de fouet, font de Ten Cloverfield Lane un objet cinématographique indéfini, assumant totalement ses ruptures de ton.bub

François Cordabub

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Top cinéma 2016

01 – Victoria
02 – Mad Love in New York
03 – La Fille inconnue
04 – Diamant Noir
05 – Elle
06 – La Terre et l’Ombre
07 – Ten Cloverfield Lane
08 – Le Client
09 – The Wave

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