Diamant Noir
Arthur Harari

DuelCritiques dithyrambiques, prix du jury au festival international du film policier de Beaune… Mais seulement 70 000 entrées. Diamant Noir est un premier film au tempérament bien trempé mais qui divise Ivann et François. Explications.

Ivann Davis : Dès les premières minutes j’ai eu l’impression de regarder un téléfilm. Un traitement de l’image particulièrement laid, quelque chose de daté, de mauvais goût, qui m’éloigne du cinéma et me rapproche de la télévision. La réalisation frôle parfois l’amateurisme et ne fait que renforcer cet effet. Tu n’as pas eu cette sensation ?

François Corda : Non. En tout cas je peux concevoir que l’image semble un peu terne, mais en terme de lumière j’ai plutôt vu un soin méticuleux de la part du chef opérateur. Il y a de très belles scènes de nuit. Pour moi derrière Diamant Noir, il y a surtout une forme d’hommage à un cinéma d’un autre âge, celui des giallos (la séquence d’entrée, superbe, et qui prend tout son sens à la fin du film) et du cinéma de Melville. Mais qu’est-ce que tu entends par caméra maladroite ?

ID : Méticuleux n’est pas l’adjectif que j’emploierais… Il y a en effet un hommage à un autre cinéma, mais de mon point de vue ce n’est pas celui des giallos ou de Melville, mais plutôt celui de Fassbinder et de Rohmer, dont les acteurs empruntent à ce dernier ce jeu caractéristique, légèrement de traviole, à la dimension plus théâtrale que cinématographique. Je parle de caméra maladroite dans le sens où la réalisation (j’espère que c’est voulu) est tout sauf soignée. Bien sûr, un film ce n’est pas que des critères esthétiques. On peut aussi compter sur le scénario ou par exemple sur le jeu remarquable d’un ou des acteurs. Oui mais… pas dans celui-ci. Côté scénario, on assiste à une histoire de vengeance un peu molle. Heureusement, la seconde partie du film est plus intéressante, notamment via son twist final. Et cette plongée dans l’univers des diamantaires d’Anvers est la bienvenue. Par contre, côté acteurs, à moins d’aimer la série Plus belle la vie, on restera un peu sur notre faim (voir la scène d’engueulade père-fils).

FC : Je vais me permettre d’insister sur un point : que serait une réalisation « soignée », selon toi ? Parce que, dans Diamant Noir, on constate quand même qu’il y a quelqu’un derrière la caméra avec un vrai style, ce qui, précisément, manque beaucoup au cinéma Français ces dernières années. Et il n’y a pas seulement une vision esthétique (urbaine, architecturale, des acteurs à trogne), mais aussi un vrai sens de la dramatisation. Lorsque j’évoquais Melville, c’était par rapport à cette éthique du bandit, qui est l’un des fils rouges de Diamant Noir, et qui est totalement absente du film noir à la française actuel, un genre complètement monopolisé par ce que j’appellerais le syndrome Olivier Marchal, sérieux de plomb, vision fantasmée de la violence et du gangster. Dans Diamant Noir, le bandit a son dress code, mais aussi son code d’honneur. La revanche n’est pas molle, elle est travaillée, sinueuse et insidieuse… Et donc fascinante. Diamant Noir c’est à la fois un polar au rythme languissant, une histoire de famille pas rose, et une histoire d’amour naissante et trouble. Je te trouve dur avec les acteurs ! Je suis le premier à critiquer ce jeu théâtral que je trouve inapproprié au cinéma ; or là, tout le monde me semble plutôt très sobre et calme, à l’unisson du rythme du film. Et c’est une vraie bouffée d’air de voir de nouveaux visages !

ID : Une réalisation soignée, c’est un sens du cadre, de la composition, de la lumière, de la photo, du mouvement etc. Ce qui manque au cinéma français ses dernières années c’est surtout un bon scénario, une idée originale. Concernant ce point, le pitch du film est intéressant. C’est ce qu’Arthur Harari en fait qui me plaît moins. J’aime aussi beaucoup voir de nouvelles têtes, même si ce n’est pas forcément un gage de talent, mais pour le coup, je n’ai pas du tout été convaincu. Au final, Diamant Noir se donne des airs, des airs de cinéma, un film qui se voudrait noir, un peu mystérieux, dérangeant peut-être… Je ne sais pas, je reste vraiment perplexe quant aux intentions. Une chose est sûre pour moi, il y a un fossé entre l’engouement général, critique et public, et le film en lui-même, qui ne me semble clairement pas à la hauteur de sa réputation. Bref, je dirais que j’ai eu affaire à un excellent téléfilm mais du mauvais cinéma.

 FC : La dernière fois que j’ai eu cette sensation (de voir un téléfilm plutôt qu’un film de cinéma) c’est en regardant Made in France, qui lorgne aussi du côté du polar. Mais la banlieue de Boukhrief est plate, les dialogues sonnent faux, les acteurs sont livrés à eux-mêmes. Dur quand on prétend livrer un tableau réaliste de notre société ! Or il y a une part de romance dans Diamant Noir que je trouve superbement appuyée par, précisément, la photographie, le cadrage (les plans sur les rails de train, le canal, l’atelier de joaillerie et l’oeil de celui qui y travaille) et la direction d’acteurs qui incarnent tous, plus ou moins, des fantômes à la classe toute particulière. Ce sont des corps plutôt que des expressions. Vraiment, je ne peux pas te rejoindre sur cette idée que la réalisation d’Arthur Harari est fade, inexistante, comme peut l’être celle d’un téléfilm. Que la vision de notre présent qu’il propose, un peu désuète, que les enjeux, plutôt souterrains, ne t’aient pas séduit, je peux le concevoir. Mais en ce qui me concerne on a bel et bien affaire à du cinéma, et du bon !bub

Ivann Davis et François Corda

bub

———

Diamant Noir de Arthur Harari (France, 1h55)

Date de sortie : 8 juin 2016

bub

gg

Commencez à écrire et validez pour lancer la recherche.