Trois films sortis cette année placent au cœur de leurs intentions la forêt amazonienne. On triche un peu avec Le Convoir de la peur, puisqu’il s’agit plus d’une résurrection, mais peu importe, avec The Green Inferno et L’Etreinte du serpent ce sont trois temporalités et approches cinématographiques différentes qui se croisent pour nous rappeler à quel point cette immensité est propice à sublimer les errances physiques et psychologiques de l’être humain (on pense forcément à Aguirre et autre Cannibal Holocaust).
En 1977, l’Amazonie selon Friedkin semble en train de perdre sa virginité, mais elle n’a pas dit son dernier mot : si des puits de pétrole apparaissent, des camions pourtant massifs brinquebalent dans une jungle goulue, à la beauté froide, au gigantisme imperturbable (voir les incroyables séquences de dynamitage d’un tronc d’arbre et la traversée du fleuve). Ce voyage de l’impossible (transporter une cargaison de nitroglycérine sur plusieurs centaines de kilomètres dans des conditions extrêmes) est un chemin de croix en forme de rédemption pour ce trio d’expatriés au passé trouble.
Au début du siècle dernier, l’Amazonie selon Ciro Guerra est peuplée de fous (conquistadors, indigènes et explorateurs sur un même pied d’égalité). Du point de la vue de la photographie, le film fait le pari un peu fou d’ancrer sa photographie dans la même temporalité que ses personnages. On pouvait craindre que le noir et blanc, en effaçant la luxuriance des nuances de vert, ternisse l’image de la forêt. Il n’en est rien, le noir et blanc agissant comme une distorsion de la réalité, en totale adéquation avec le caractère psychotrope du film.
Si le Colombien semble plus attiré par l’élément aquatique que la flore (l’essentiel de L’Etreinte du serpent a lieu sur les fleuves, animés d’un relief saisissant, et ses berges), la magie du Convoi de la peur repose avant tout sur l’aspect méphistophélique de l’élément jungle. Le film nous rappelle sans cesse à quel point l’humain semble riquiqui face aux déluges, aux arrêtes montagneuses, aux arbres colossaux. William Friedkin, à l’instar de ses personnages, s’y est frotté pour le pire (sa carrière) et le meilleur (la beauté de son film). Eli Roth a choisi, avec The Green Inferno et sous couvert d’hommage aux films de cannibales, de se concentrer sur ceux qui peuplent ou exploitent l’enfer vert. Lui qui dépeint depuis une dizaine d’années l’homme moderne comme un dégénéré a du se régaler en confrontant deux civilisations, l’une primitive, l’autre soi-disant évoluée pour nous attirer vers un seul constat : on rigole quand même plus chez les anthropophages.
Eli Roth n’a jamais été un grand formaliste mais là n’est pas l’intérêt de son oeuvre. On pourrait regretter sa vision de l’Amazonie un peu plus timide, loin des tentatives picturales de ses deux collègues, mais cette timidité est toute relative. Car cet Américain, punk aux entournures, est dans l’air du temps ; un air vicié qui n’épargne personne. En 2015, on entre dans l’Amazonie comme dans un moulin, et comme un juste retour des choses, la forêt, bouffée de l’intérieur, se charge très symboliquement, via ceux qu’elle a enfanté (la tribu cannibale), de croquer ceux qui lui veulent du mal (la compagnie pétrolière) ou l’utiliser à des fins morales douteuses (les activistes écolos).
Trois des plus beaux et aventureux films de l’année ont ainsi replacé l’Amazonie, sorte de purgatoire qu’on rêverait à jamais inviolable, au centre de leur désir d’évasion. Ce désir s’invite dans la plupart des films qui nous ont marqué cette année. De Mad Max : Fury Road (le désert namibien) à Vingt et une nuits avec Pattie des frères Larrieu et Vincent n’a pas d’écailles (le sud de la France) en passant par Sea Fog : Les clandestins (un bateau de pêche) et It Follows (une banlieue américaine fantasmagorique), c’est peu de dire que le cinéma est bon quand il nous déplace.bub
François Corda
bub
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L’Etreinte du serpent de Ciro Guerra (Colombie ; 2h05)
The Green Inferno de Eli Roth (Etats-Unis ; 1h43)
Le Convoi de la peur de William Friedkin (Etats-Unis ; 2h02)