J’ai tué ma mère de Xavier Dolan délivre certaines clés évidentes pour encadrer ce phénomène assez rare et pourtant protéiforme qu’est la naissance d’un artiste ostensiblement doué. Autrement dit, il y a dans ce premier long métrage une forme de génie. Parce qu’il répond avec limpidité aux attentes que l’on peut avoir d’un cinéma total, mettant en lumière tout ce qui le fait vivre et ici même, vibrer.
Il faut déjà évoquer l’âge du canadien Xavier Dolan lors de la sortie de J’ai tué ma mère : vingt ans. Et ensuite rattacher cette précocité à l’œuvre proposée, d’une incroyable maturité. Quand l’on sait la somme de travail qu’il y a en amont avant que nous, spectateurs, puissions avoir accès au « produit fini » (quête d’un producteur, scénario, montage), cela donne le vertige : Dolan était pour ainsi dire adolescent quand il a commencé à plancher sur J’ai tué ma mère ! On pourrait dire que l’aspect rebelle du personnage qu’il incarne sied parfaitement aux problématiques de cet âge, soit. Mais ce qui est encore plus bluffant, c’est qu’il ait eu le recul suffisant pour analyser cette relation mère/fils et la rendre aussi ambivalente.
De l’aveu même du réalisateur (*), J’ai tué ma mère revêt un aspect autobiographique assez fort. Que Dolan ait su s’extraire si jeune de son cocon familial pour en tirer une œuvre aussi singulière est bien sûr remarquable (en ce sens on ne peut que penser au très beau Tarnation de Jonathan Caouette). Mais qu’il ait su y mettre en plus autant d’émotions diverses, comédie pure, sentiments amoureux, drame burlesque, tient aussi du petit miracle. La forme de représentation du film est tout aussi enthousiasmante : il faut voir avec quel soin l’image de J’ai tué ma mère a été élaborée. Ce grain un peu poisseux et pourtant coloré impose d’entrée une identité visuelle forte. Et indéniablement le jeune homme a réalisé quelques coups de force dans sa mise en scène, dont les discussions avec sa mère sont d’excellents exemples : les deux personnages sont côte à côte à une table mais représentés à l’écran séparément et aux extrémités du cadre pour mieux témoigner de leurs divergences. On est bien sûr dans le pur procédé, mais sa simplicité et son efficacité l’emportent sur tout soupçon d’affèterie.
L’hystérie fréquente dont font montre cette mère et ce fils, que ce soit en verbe ou en gestes, laisse aussi planer une folie douce sur J’ai tué ma mère, une folie dont on peut croire qu’elle n’est pas étrangère au génie… Dolan semble aussi assez extravagant dès lors qu’il s’exprime en public, et ce personnage qu’il interprète, il l’interprète avec une facilité déconcertante : c’est lui, au moins en partie. Comme lorsque l’on voit Woody Allen dans son propre cinéma, le doute n’existe pas : les personnages de Woody sont tous un peu Allen. Il ne faut pas pour autant minimiser le potentiel d’acteur de ces deux hommes : leur névrose est sans doute surjouée et ils savent de toute évidence la rendre hautement communicative.
J’ai tué ma mère va ainsi bien plus loin que son titre en forme de provocation adolescente. Xavier Dolan impressionne par cette capacité à faire, si jeune, des propositions cohérentes dans tous les domaines : image, scénario, dialogues, mise en scène, montage, rien n’est laissé au hasard, tout semble être le fruit à la fois d’une grande réflexion et en même temps d’une belle fraîcheur. Un film revigorant donc, et qui redonne foi dans les multiples pouvoirs du cinéma.
François Corda
(*) cf. l’interview de Dolan dans les bonus du DVD (édité par France Télévisions Distribution)
1h 40min | 15 juillet 2009 | Canada