COUPS DE COEUR RÉTROS
bilan musique 2012

ubFocusLa découverte cette année du site Any Decent Music ?, qui recense, avec une note moyenne, les artistes bénéficiant d’au moins cinq critiques dans la presse spécialisée anglo-saxonne, nous a contraint à écouter beaucoup, beaucoup de choses, sélectionnées pour la grande majorité sur le haut du pavé. C’est grâce à eux que nous avons découvert Alt-J, Bill Fay, John Talabot ou encore Dusted. Mais globalement c’est l’incompréhension qui a été de mise face à des consensus qui, chez nous, ont rencontré soit l’indifférence (Tame Impala notamment), soit le quasi refus éditorial (l’accueil dithyrambique réservé cette année à Franck Ocean et Fiona Apple est-il le fruit d’une hallucination collective ?). On retire donc de cette gigantesque orgie de sorties (au moins aussi affolante qu’en cinéma) que 2012 n’avait rien d’une année révolutionnaire. Ce qui ne signifie pas qu’elle était mauvaise, mais nous n’avons tout simplement rien entendu qui ait bousculé nos repères.

Le Klub des Loosers a pu provoquer cette sensation, à la fois dérangeante et exquise du bouleversement, il y a quelques années avec Vive la Vie. « L’anti-flow » développé par le rappeur versaillais Fuzati y était narquois, nihiliste, ses samples toujours décalés. On retrouve tout cela dans son deuxième album (en huit ans !), La Fin de l’Espèce, et c’est une bouffée d’air dans le monde très formaté du hip-hop, qu’il soit français ou étranger.  Le Klub des Loosers tient donc naturellement sa place dans le top de cette année (plutôt que les très bons Schoolboy Q ou autre Kendrick Lamar), pour cette singularité qu’il cultive. D’autant plus que Fuzati et son collègue Detect ont su produire avec La Fin de l’Espèce un album court et cohérent quand la plupart de leurs collègues ont l’habitude de se vautrer dans l’excès. Booba, dont on parlait récemment, comme d’autres, mais le syndrome « compilation » est fréquent dans le hip-hop.

À ce sujet, Ssss de VCMG pourrait facilement passer pour une collection de titres techno sans liant et pourtant, c’est bien ce duo de jeunes papis (Martin Gore de Depeche Mode et Vince Clarke, le fondateur du même groupe, désormais sous le nom d’Erasure) que nous avons voulu retenir en premier. Parce que cette collaboration inattendue a fait partie des rares chocs de cette année 2012, de ceux qui vous conquièrent immédiatement et vous laissent une trace indélébile dans la tête. Un coup de cœur quoi. Certains disques s’apprécient bien sûr dans la durée et comme les bons vins, gagnent en puissance avec le temps. Le deuxième album solo de Jason Lytle, de la synth-pop discrète et néanmoins somptueuse (à l’image du titre du disque, Dept. Of Disappearance), en fait partie.

Mais tout de même, cette joie de se sentir emporté illico presto par des mélodies, une énergie, une ambiance, cette connexion indescriptible qui se passe entre nous et l’artiste a quelque chose d’émouvant, de sacré presque. Et oui, Martin Gore et Vince Clarke nous ont bel et bien remué : à plus de cinquante ans ils nous ont livré avec Ssss une démonstration de techno minimaliste, qui est tout à la fois une nique au jeunisme ambiant (cf. la plupart des tops de la presse), une réflexion générationnelle (qui aurait pensé il y a vingt ans que la techno serait jouée en 2012 par et pour des cinquantenaires ?) et un double regard sur la production passée et à venir (le traitement du son est hallucinant dans Ssss).

Dans le même ordre d’idées nous avons mis à l’honneur le grand retour de Bill Fay, autre figure touchante (et âgée) de 2012. Une véritable grâce anime la pop de son Life is People, dont la production dégage une ampleur rarement retrouvée dans les disques actuels. L’homme semble dévasté physiquement sur les photos du booklet : tant mieux, la beauté de ses chansons n’en est que plus désarmante. Autre choc frontal : Dawnbringer. Il s’agit ici d’un jeune groupe, c’est vrai, mais la musique jouée est datée, elle aussi (du heavy metal qui sent bon les eighties, sans les soli ringards) ; le Barcelonais John Talabot, la trentaine, n’a pas d’ambition de « modernité » non plus, fIN et sa techno-house tropicale étant plutôt habités par la même fièvre que celle de Dawnbringer : les années 80. Quant aux Alt-J, on ne peut pas dire qu’ils soient in, leur An Awesome Wave est un pot pourri  de styles (hip-hop, pop, folk, musique traditionnelle), une petite merveille hors du temps. On pourrait appliquer le même qualificatif à Total Dust de Dusted, de la folk-grungy qui semble tirée d’une cassette audio planquée depuis des lustres dans un tiroir poussiéreux.

Nous n’avions pas encore dit un mot sur le Beach House, pourtant bien situé dans la sélection. C’est peut-être parce que la majesté mélancolique, simple, évidente, de Bloom, a suffisamment fait parler d’elle cette année… On regrette toutefois que cet enthousiasme n’ait pas été réellement suivi dans les choix de fin d’année. Bloom est pourtant ce que le duo a fait de mieux jusqu’à présent, et il fait clairement partie des coups de (au) cœur spontanés de 2012. La perfection pop est toute proche, et la formule élaborée avec soin par Legrand et son partenaire trouve ici un épanouissement total.

Le mot de la fin reviendra à Olivier Depardon. Parce que nous entamions cette rétrospective avec Le Klub des Loosers et que, formellement, Un Soleil dans la Pluie n’est pas si éloigné de La Fin de l’Espèce : une voix désincarnée, gouailleuse, posée sur des mélodies enchanteresses et sans âge. On a trouvé en lui l’un des meilleurs espoirs de cette année, bien au-delà du falot Lescop, autre chouchou d’une presse en mal de découvertes. Nous espérons que l’avenir d’Olivier Depardon nous confortera dans notre choix de le mettre en évidence cette année…bub

François Corda

bub

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Top musique 2012

01 – VCMG / ssss
02 – Alt-J / an awesome wave 
03 – Dawnbringer / into the lair of the sun god 
04 – Le Klub des Loosers / la fin de l’espèce 
05 – Beach House / bloom
06 – Jason Lytle / dpt. of disappearance
07 – Bill Fay / life is people 
08 – John Talabot / fIN
09 – Dusted / total dust
10 – Olivier Depardon / un soleil dans la pluie

 

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