LA GROTTE DES RÊVES PERDUS
Werner Herzog

DeterreLa Grotte des rêves perdus est un film très très beau. Intelligent, inspiré, esthétique et drôle. Pourtant, ce n’est pas un chef-d’œuvre. Car chez Herzog un chef-d’œuvre ne fait pas l’économie d’une prise de risque maximale. Si ce film étonnant laisse le spectateur un peu sur sa faim, c’est parce qu’il donne l’impression que tous les risques n’ont finalement pas été pris.

Le projet d’Herzog dans ce film consiste moins à nous montrer l’intérieur de la Grotte Chauvet qu’à mettre en scène le regard qu’on porte sur les traces qu’elle contient. A la fois son regard de cinéaste, mais aussi ceux des scientifiques et archéologues travaillant sur le site en question. Il en résulte un montage étrange de regards hétérogènes derrière lesquels Herzog semble chercher une constante : la part d’imagination qui anime le regard. La grotte est un espace de projection où la conservatrice du site peut entendre résonner les cornes de rhinocéros s’entrechoquant. Où un archéologue peut imaginer des hyènes ronger les os des squelettes d’ours. Où des artistes archéologues peuvent reconstruire étape par étape le geste technique de création de la fresque aux chevaux. Et où Herzog lui-même peut rêver d’un proto-cinéma d’il y a 30 000 ans quand la lumière vacillante des torches donnait du mouvement aux pattes des animaux que des hommes préhistoriques étaient en train de peindre.

Dans l’ensemble le pari d’Herzog fonctionne bien. Quand une voix projette une image sur le mur, le spectateur peut la voir tout en se rendant compte que sans cette voix il ne l’aurait peut-être pas vue. La distanciation est palpable, on devine bien la mise en scène du regard qui imagine et qui construit son discours en fonction. Le célèbre : « Il faut le croire pour le voir » s’impose alors. Mais quand enfin la voix d’Herzog cherche à émerger du concert, elle est peu audible. Tout d’abord parce que, sans qu’il soit possible de dire précisément en quoi, elle paraît dissonante avec les autres voix et ne peut donc pas s’appuyer sur elles. Ensuite parce qu’elle n’ose pas les écraser alors qu’elle en a le pouvoir. C’est à ce point qu’on peut estimer que tous les risques n’ont pas été pris. Il y a là comme une délicatesse déplacée à n’avoir pas plus forcé les intervenants à parler de leur façon de regarder plutôt que des savoirs qu’ils construisent. On apprend que le jeune archéologue vient du monde du cirque et a rêvé de lions chaque nuit suivant une visite à la grotte. Mais des scientifiques porteurs de savoirs érudits on ne sait pas grand chose, le discours a beau être enthousiaste, il est verrouillé.

Heureusement Herzog est un maître. Il compense efficacement dans le final avec le remarquable postscript et les crocodiles albinos. Cela fait un peu bricolé, mais au moins, il peut donner finalement, à rebours, de l’ampleur à toute la séquence de « tableaux » 3D des fresques principales de la grotte. Et ça, ce n’est que justice, car cette séquence formellement impressionnante gagne à être revue avec en mémoire les échos de la voix d’Herzog. Si au bout du compte la Grotte des rêves perdus est un beau film à voir, c’est surtout pour les rêves trop discrets que son auteur semble y puiser.bub

Jacques Danvin

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La Grotte des rêves perdus de Werner Herzog (France, Etats-Unis, Royaume-Uni, Canada, Allemagne ; 1h30)

Date de sortie : 31 août 2011

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