PROMETHEUS
Ridley Scott

—–DuelUne fois de plus, Jacques Danvin et François Corda se crêpent (gentiment) le chignon. Après Tyrannosaur et Two Days in New-York, c’est au tour de Prometheus de se faire décortiquer au gré d’un duel ferme mais toujours courtois. Alors, film bien balancé ou espoir déçu ? À vous de voir !

Jacques Danvin : Je sais de source sûre que Prometheus t’a fait forte impression, et que ce film est pour toi l’un des plus intéressants de ce premier semestre 2012. Ce qui n’est pas le cas pour moi. Tu dirais qu’il s’agit d’un film important ?

François Corda : C’est encore un peu frais pour dire si je considère Prometheus comme un film « important » mais ce qui est sûr c’est que j’ai beaucoup aimé, en effet. Ce qui m’a plu avant tout dans Prometheus c’est l’équilibre entre ses deux parties hétérogènes. En fait, j’ai ressenti la seconde moitié du film comme une décharge d’énergie assez jouissive après une première partie visuellement impressionnante (même si elle est un peu plan plan par moments). Pour toi c’est le contraire, non ?

JD : Des deux grandes parties du film, je préfère en effet la première. C’est vrai qu’on peut voir la seconde moitié comme la décharge de toute l’énergie qui s’était concentrée auparavant. Mais cette décharge d’énergie se passe sur un mode visuel que je trouve assez décevant au regard de toutes les promesses que le film contenait jusqu’alors. Le prologue en ce sens est remarquable. Il insinue beaucoup de choses en ne passant que par l’image, sans qu’il n’y ait aucune parole. Si on met de côté la scène assez inutile où les deux héros découvrent les peintures rupestres, toute l’introduction prise dans son ensemble fonctionne sur un silence étrange au-dessus duquel l’image elle-même prend la parole. En mélangeant d’ailleurs plein de registres différents : paysages grandioses, images de synthèse, archives cinématographiques, souvenirs d’enfance… Alors que toute la seconde moitié du film fait un gros pas en arrière avec une mise en scène qui en général s’estompe au profit de l’action.

FC : Je ne vais pas m’acharner à défendre la mise en scène de Ridley Scott, ce serait peine perdue. Pour moi Alien est de très loin son plus grand film et la réalisation y est assez neutre… Mais à la limite ça m’est égal parce que je trouve qu’il fait montre ici, dans l’action, d’une réelle efficacité. Scott enchaîne les scènes de climax à vitesse grand V (la première rencontre avec l’embryon, l’hécatombe de l’équipe, l’opération chirurgicale…). Tout s’accélère brusquement, j’ai trouvé ça assez jouissif. Et puis j’ai apprécié aussi l’intelligence du réalisateur vis-à-vis des attentes du spectateur fan de la saga : Prometheus est à la fois un prequel d’Alien et une ouverture (il répond à des questions mais en pose d’autres), et Prometheus est aussi bien un remake d’Alien (beaucoup de clins d’œil aux autres épisodes) qu’un film à part, qui oublie la notion de rencontre frontale entre l’homme et la bestiole (le fil rouge de la saga) pour proposer une nouvelle équation, dans laquelle se débattent cette fois-ci non plus deux, mais quatre types de protagonistes qui interagissent à tour de rôle ensemble : l’homme, l’alien, leur créateur et le cyborg.

JD : Cette nouvelle équation dont tu parles, c’est une très belle idée, je te rejoins sur ce point. Mais ça part du principe que le rapport de Prometheus avec la saga Alien va de soi. Et c’est là que j’ai du mal. Tel qu’il est proposé par le scénario, je trouve le lien en question particulièrement forcé. Que Ridley Scott ait voulu faire de la naissance de l’espèce « Alien » un artefact d’une autre intrigue cosmique, c’est très intéressant, et assez élégant. Par contre dans l’équilibre de Prometheus, tous les éléments dramatiques en lien avec cette sous-histoire d’Alien surchargent la deuxième partie du film sans rien lui apporter de décisif. Il faudrait faire l’exercice pour en avoir vraiment le cœur net, mais je suis convaincu que si tu retires toutes les scènes en lien avec cette histoire secondaire, le film tient debout sans problème et gagne en clarté et simplicité. Aussi impressionnante soit-elle, l’opération chirurgicale que tu évoques plus haut est en excès. D’ailleurs, et c’est assez parlant, le personnage d’Elizabeth Shaw qui subit cette opération traumatisante en ressort finalement avec l’obligation d’avoir à traîner jusqu’à la fin de l’histoire une douleur physique qui doit être intenable mais qu’elle semble oublier dès que ça devient vraiment trop encombrant pour réaliser toutes les cascades que le film d’action lui impose. D’ailleurs globalement je ne retrouve pas dans les héros de Prometheus le soin apporté à ceux des autres épisodes. Tout ce petit monde me paraît assez fade, ce sont en quelque sorte des personnages « prétextes ».

FC : Tes arguments sont de taille, je vais essayer de te répondre point par point sans être trop long. Je reconnais qu’on ne retrouve pas le charisme naturel des personnages secondaires des autres épisodes. Mais franchement, côté personnages principaux, j’ai aimé Noomi Rapace, je la trouve séduisante et masculine comme pouvait l’être Sigourney Weaver en son temps et pour moi c’est un très bon casting. Le meilleur reste Michael Fassbender, ambivalent à souhait : c’est certainement le cyborg le plus mémorable de la série, parce qu’il est pour la première fois un réel moteur de réflexion ET d’action. Mais pour revenir sur ta principale réserve, à savoir que le lien semble forcé avec la saga, je ne suis vraiment pas d’accord. Peut-être parce que je suis le projet de Ridley Scott depuis le début : je me souviens qu’au départ, il était question de faire un cinquième épisode, puis très vite l’idée de prequel  a été retenue, puis écartée…

JD : C’est peut-être cette hésitation entre les trois projets que je ressens…

FC : Peut-être, oui. Mais on peut voir aussi Prometheus comme un concentré des trois. Et surtout, l’univers visuel de H.R. Giger (créateur de la créature et du vaisseau d’Alien, le huitième passager) est présent dès l’arrivée sur la planète. Or pour moi, Giger égale Alien, Alien égale Giger. Dès lors que l’on est face à ces décors connus, pas de doute, on est dans un épisode d’Alien. Quant à la surcharge d’éléments dramatiques de la deuxième partie, je ne vais pas dire le contraire, mais c’est justement l’enchaînement sans temps mort des coups de théâtre que j’ai adoré ! J’ai pris ça comme des uppercuts, bam, là une réponse, boum, là une autre question. Je reviens à ce que je disais tout à l’heure, quoi.

JD : Oui, ce qui veut dire que tu es cohérent ! Je vais donc conclure en tâchant d’en faire de même et réaffirmer ma déception face à cette deuxième partie qui à mon sens liquide toutes les belles promesses de la première moitié du film. Lecteurs qu’en pensez-vous ? 

Jacques Danvin et François Corda

bub

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Prometheus de Ridley Scott (Etats-Unis ; 2h03)

Date de sortie : 30 mai 2012

bub

gg

Showing 3 comments
  • WWTB

    Un des articles les plus intéressants que j’ai pu lire sur le film, qui ne parle pas QUE de l’Alien (que je vois plutôt comme une petite excentricité, la cerise sur le gâteau) + d’accord sur le perso de Fassbender, qui pour moi porte tout le film.

    Sinon Jacques a des killer arguments mais je suis définitivement du côté de François je crois 😀

  • Mr PYMB

    Le plus attendu de tous, le nommé « Prometheus », est clairement une grosse déception en ce qui me concerne. On pouvait s’attendre à des moments impressionnants, effrayants et passionnants. Or, je suis sorti de la séance avec un sentiment d’avoir vu un film gâché, ce qui est déplorable à dire. Les aller-retour exploratifs m’ont paru trop vite expédiés. Je suis plutôt d’accord avec les arguments de Jacques sur ce coup là.

  • leo

    Ridley Scott mérite tout le mépris des fan d’Alien, le droit aussi, que dis-je l’injonction de ne pas réaliser PromOtheus 2. Tant qu’à subir du cinéma surfriqué et scénarisé plus minablement qu’un mauvais pilote de série, j’irais voir spiderman, Avengers ou d’autres films inintéressant qui ne me mettront pas hors de moi, au moins.

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