THE DESCENDANTS
Alexander Payne

EnterreL’histoire que nous raconte Alexander Payne dans The Descendants se passe à Hawaii. Cela peut paraître anecdotique, mais ça ne l’est pas. D’abord parce que le récit s’inscrit véritablement dans ce lieu au gré d’une question d’héritage mettant en jeu la vente des dernières parcelles vierges de l’archipel. Ensuite parce que Payne semble vouloir s’inspirer de la géographie de ce paradis dispersé pour poétiser la famille américaine. Enfin parce qu’il est amené à se confronter à la question du cliché qu’un tel lieu « carte postale » impose nécessairement.

Matt King (George Clooney) est le descendant principal d’une lignée hawaiienne fortunée. Il est le copropriétaire d’un magnifique et vaste domaine côtier qu’aucune entreprise immobilière n’a encore défiguré. Au sein de la famille élargie qu’il consulte pour prendre des décisions, famille constituée de tous ses cousins eux aussi héritiers des terres ancestrales, il a par lignage direct le droit de décider quand il faut vendre le domaine, et à qui. Mis sous pression par la majorité de ses parents qui souhaitent récupérer au plus vite l’argent issu de la vente, Matt va devoir affronter un premier questionnement quant à son antériorité, c’est-à-dire son héritage et sa façon de l’utiliser. Le récit plutôt cohérent sur ce point va provoquer une crise traditionnelle que le drame sera chargé de résoudre in fine.

Si cette crise survient avec tant de force, c’est parce que Matt King est pris en même temps dans un autre questionnement concernant sa postérité. L’histoire se déroule sur seulement quelques jours, et les événements s’y entremêlent et se bousculent. Au fil narratif concernant l’héritage s’ajoute celui du drame directement familial qui va amener Matt King à vouloir réinvestir une place qu’il avait délaissée, celle du père de ses deux filles. En l’absence de leur mère plongée dans le coma à cause d’un accident de ski nautique, Matt se retrouve à découvrir ses deux progénitures, et à constater son manque d’autorité sur elles. Plus que tout, ce qu’il ressent, c’est ce que dit la séquence la plus inspirée du film, celle dans l’avion où en voix off Matt compare sa famille à l’archipel hawaiien : tous les membres y sont des îles qui s’éloignent inéluctablement les unes des autres sous l’action d’une faille originelle.

A ce moment-là du film, cette idée poétique est particulièrement intéressante tant la voix off de Clooney ne joue pas du tout d’accents pathétiques. Pour un réalisateur américain, Payne semble alors ramer à contre-courant. Mais malheureusement le drame va ensuite se remettre culturellement dans un ordre de marche bien connu. La famille américaine, même un peu mulâtre, même à Hawaii, doit l’emporter en se recomposant, en se réconciliant. C’est là qu’on peut déceler dans The Descendants une sorte d’hypocrisie inconsciente. Si Alexander Payne prend le soin d’éviter tout cliché formel concernant les palmiers, l’eau turquoise et les plages de sable blanc, il ne fait paradoxalement que rejouer le cliché dramatique du cinéma nord-américain. La famille est l’origine mais aussi la fin, cellule sociétale à maintenir à tout prix.

L’ambivalence de Payne quant au cliché trouve son illustration la plus symptomatique dans le traitement qu’il réserve au domaine hérité : il s’agit du seul lieu à Hawaii traité en mode « carte postale », toujours avec le même cadre d’ensemble et en plongée, avec parfois un léger panoramique, où sont mêlées avec perfection la mer turquoise et les côtes montagneuses couvertes d’une belle végétation. La propriété qui dans The Descendants symbolise clairement la famille reste toujours à distance, inatteignable, certes protégée mais interdite à toute retouche.bub

Jacques Danvin

 

| 25 janvier 2012 | Etats-Unis

 

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