La piel que habito
Pedro Almodóvar

DeterreLa piel que habito, le nouveau film d’Almodóvar, est une œuvre qui demande beaucoup de patience. C’est un écrin compliqué qui contient de rares moments de très grande poésie. Il ne s’ouvre que trop lentement et par intermittence. Quand il s’ouvre assez on voit enfin la beauté du bijou qui y est recélé. Et on est transporté. Mais le plus souvent il reste fermé. Et si longtemps qu’on en oublie l’existence de ce qu’il contient et qui vaut bien la peine pourtant qu’on lui fabrique le plus beau des écrins.

Ce bijou, c’est le regard de Vera, embué d’attente fébrile, fier et provocateur, interrogateur aussi, religieusement mystérieux, à l’affût en tout cas. C’est ce regard quand il s’affranchit du corps clinique et hautement sensuel d’Elena Anaya, de son visage aux traits rectilignes, de la peau parfaite, du dessin des sourcils. Quand il s’affranchit de la noirceur des cheveux, et des pupilles aussi. Un regard qui est alors indépendant du corps qui le porte. Almodóvar ne fait clairement pas un remake de Les Yeux sans visage de Franju. Pourtant, il parvient à un degré d’abstraction du regard de son héroïne que Franju n’avait peut-être pas atteint. Les yeux : portes de l’âme. Franju avait surtout besoin de masquer le visage pour mettre en avant le regard. Dans La piel que habito, Almodóvar multiplie tellement les éléments formels et références qui soulignent la fonction vestimentaire de la peau, que le visage de Vera s’en trouve de plus en plus évanoui. Et alors seul le regard reste, seul l’éblouissement.

Malheureusement, il faut être patient pour qu’apparaisse ce bijou. L’écrin d’Almodóvar tient en un drame psychologique tellement compliqué et improbable qu’il lui est nécessaire de faire de longs détours explicatifs pour rendre crédible son histoire et les actions des personnages. Les longues scènes de révélations sur le passé de Roberto (l’arrivée du « tigre », la discussion entre femmes devant le feu, les souvenirs oniriques et les flash-back) sont tellement cantonnées à cette fonction que tout le minutieux travail symbolique entrepris jusque-là sur le motif de la peau perd de sa force d’impression (ex : le parallèle formel avec l’Olympia de Manet). Quand les longs détours explicatifs se terminent, la poésie formelle peut reprendre ses droits, mais au prix d’un nouveau travail symbolique qui parfois tient bien la route (la référence à l’art brut, ou encore la magnifique scène de l’aspirateur), mais qui à d’autres moments paraît vraiment forcé (Vincente en couturier, la scène du bonsaï…).

Devant La piel que habito, la patience est de mise avant que ne surgissent enfin, et en de trop rares occasions, les éclats foudroyants de ces deux yeux noirs sans visage.c

Jacques Danvin

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La piel que habito de Pedro Almodóvar (Espagne ; 1h57)

Date de sortie : 17 août 2011

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