BLACK METAL
sélection hiver 2021

Après une séance de luge dans la neige tiédasse, l’hiver et la montagne semblent tenir une sorte de revanche. Cette année, les sommets redeviennent un peu ce royaume inquiétant et inhospitalier, jadis réservé aux intrépides. Disparus les individus en combinaison fluo dévalant des pentes plus ou moins domestiquées, voici que le silence recouvre un domaine qui, se masquant dans un geste de pudeur dérisoire, retrouve pour un temps une dignité bafouée. Autrement dit, pour une musique qui célèbre à tout instant une puissance ancestrale sauvage et qui doit aussi beaucoup aux cimes enneigés nordiques, la période serait par conséquent une sorte d’épiphanie.

D’ailleurs, « Epiphany » est le titre qui ouvre l’EP Truth. Déjà évoqué dans cette rubrique, Mur récidive avec ce mini-album en béton armé cette fois de ferrailles atypiques, faites d’une new wave britannique tendance années quatre-vingt tout sauf légère. A la brutalité et la sécheresse des guitares s’ajoute une violence massive et synthétique faite de claviers épais et froids. Sur la base de quelques notes, presque claires, l’ensemble donnerait par instants une quasi impression de légèreté, mais c’est une illusion cruelle et totale, un piège trompeur. Un aspect mélodique fait côtoyer la densité absolue, quasi stellaire, des compositions de Mur avec une pop rendue monstrueuse, dévoyée, démesurée, à l’image d’un certain centrisme qui, cultivant pourtant une image avenante, voire bienveillante, broie joyeusement les peuples de sa technocratie implacable. Le point culminant de cette union malsaine est cette perturbante reprise de Talk Talk (« Such a Shame »), à la fois terriblement respectueuse du morceau originel et profanation déviante – parfois dissonante – dont les accents metalcore sont autant de coups de reins impies. Le groupe Français n’en est qu’à ses débuts mais affirme une identité très singulière, et se permet déjà de tordre celle-ci en tous sens.

Derrière un autre groupe hexagonal talentueux, Blut Aus Nord, se cache Vindsval, artiste prolifique qui se réincarne cette fois dans Forhist avec un premier album éponyme. Étymologiquement, le terme viendrait du mot « forêt » en vieux francique (époque mérovingienne). Il s’agit donc d’une quête, d’un voyage vers des racines ancestrales, au cœur des bois millénaires. Pour déranger la rumeur silencieuse et délicate de la nature sauvage, de longues complaintes lancinantes, chargées de ses dissonances et de chœurs mystérieux accompagnent le lent pèlerinage. Avec cette musique dépouillée, l’objectif semble évident : offrir une réinterprétation d’une époque, celle qui vit naître le black metal Norvégien dans les années quatre-vingt-dix. Les trilles mélancoliques n’ont pas leur pareil pour évoquer immédiatement un décor foisonnant : plus que jamais Forhist mérite l’adjectif atmosphérique pour qualifier le metal qu’il génère.

Le froid glacial, les landes désolées, battues par les vents, les montagnes et les forêts mystérieuses et enneigées, tout cela constitue une imagerie, voire même une véritable valeur refuge du black metal. Fuath est le projet d’un Ecossais (Andy Marshall, du groupe Saor) qui s’inspire des paysages majestueux qui l’entourent comme les Norvégiens le faisaient jadis avec leurs fjords dans la région de Bergen. Voyage impossible aux sources du maléfice, car même si un certain état d’esprit, convoquant les puissances occultes dans quelque terrible paysage par une nuit sans lune, est parfaitement respecté, le son, par sa clarté laiteuse, révèle souvent quelques lumières perçant les nuages.

Loin du froid et de la mélancolie, les Grecs de Yoth Iria invoquent un démon échappé d’une fournaise inhumaine. A l’instar de leurs compatriotes Rotting Christ, les méditerranéens ne succombent pas à la violente torpeur qui engourdit les corps sous l’effet du froid, mais semble plutôt vénérer la grandeur de quelques rituels païens et bien entendu la morsure des flammes. En résulte un metal des plus noirs, c’est entendu, mais furieusement rock’n’roll, presque enjoué en somme. Vitesse et frénésie sont l’alpha et l’oméga de ce As the Flame Withers, fleurant parfois bon le vieux thrash, sorte de maison mère du metal. En résulte une jubilation joyeusement inconvenante, où quand le black se fait irritant au sein d’un courant qui se définit par l’hostilité qu’il est censé suscité !

Bien loin des espaces naturels sauvages évoqués, Wesenwille choisit l’enfer urbaniste pour exprimer un vrai malaise qui gangrène nos sociétés. Ferdinand Tönnies, à la fin du dix-neuvième siècle, introduit dans sa thèse deux concepts : Wesenwille donc, en Français la volonté organique, héritée du monde sauvage et sur laquelle se fonde la vie en communauté, à opposer à Kürwille, la volonté réfléchie, c’est-à-dire tout ce qui n’est pas de l’ordre de l’instinct (libre-arbitre, décision, etc.). En prenant pour nom Wesenwille, le groupe néerlandais prend par conséquent parti et suit le raisonnement du sociologue : par définition la ville et son organisation, qui sont des émanations de la volonté réfléchie des humains, ne peuvent conduire qu’à l’individualisme. L’album a un titre évocateur II : A Material God. Il s’agit d’individualisme certes, mais aussi de matérialisme, rendu cardinal partout par le libéralisme économique. Ainsi est obtenu un cocktail délétère (individualisme et matérialisme), source du succès contemporain des psy au chevet des névroses urbaines. Avec une telle thématique, le son ne peut être qu’immense et massif. Une pointe de hype s’immisce tout de même pour lézarder l’ensemble dense et brutaliste avec des compositions d’avant-garde, en quête d’un son contemporain, fait de trilles contemplatives à la beauté triste. A l’instar de Mur, le groupe n’exprime pas de nostalgie d’un temps révolu, mais remonte le fil d’un certain désespoir pour asseoir leur art sur une base théorique. En somme, Wesenwille traduit des émotions communément ressenties de la manière la plus radicale qui soit, et peut-être la plus naturaliste.

François Armand

Mur / truth  (France | 26 mars 2021)

Forhirst / forhist (France | 26 février 2021)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Fuath / II   (Grande-Bretagne | 19 mars 2021)

Yoth Iria / as the flame withers  (Grèce | 25 janvier 2021)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Wesenwille / II : a material god  (Pays-Bas | 12 mars 2021)

 

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