LE JEU DE LA DAME
Scott Frank et Allan Scott

EnterreLe Jeu de la dame passe à peu près à côté de tous ses sujets. L’adolescence, le génie, l’addiction, la condition de la femme dans les années 60 et, ce qui est plus surprenant, le jeu des échecs à proprement parler. Beth personnifie finalement très bien la problématique de la série : poseuse et froide, elle a toutes les peines du monde à nous attirer son empathie.

La seule idée de mise en scène du Jeu de la dame est la suivante : en prenant des anxiolytiques à haute dose, Beth Harmon voit se figurer au plafond un échiquier géant sur lequel elle projette ses parties passées et futures ; soit la traduction littérale de ce que « vivrait » la championne dans sa tête. La naïveté de cette séquence, répétée à des moments clés de la carrière de Beth, est le symbole de l’impuissance des créateurs de la série à nous faire pénétrer dans la complexité du monde des échecs, et ce faisant, dans celui de Beth Harmon. Scott Frank et Allan Scott donnent par ailleurs très vite leur démission quant à l’idée de nous intégrer dans les enjeux éminemment complexes de chaque partie jouée : l’enchaînement des coups dans Le Jeu de la dame n’a aucun sens pour le néophyte (la plupart des spectateurs a priori), relégué ici au simple rôle d’observateur qui doit se contenter de prendre son mal en patience à chaque duel. Dès lors, aucun moteur de suspense, et on se surprend à constater que les joueurs d’échecs sortent de leurs parties comme ils y sont entrés : figés. A peine quelques gestes d’humeur ici et là, qui pourraient traduire leur humanité, ou le simple fait qu’ils soient concernés par leur défi. De là à dire que le jeu d’échecs n’est pas cinématographique, il n’y a qu’un pas à franchir. Ce qui serait tout de même une erreur.

Car à défaut de nous immerger dans le jeu lui-même (et d’ailleurs, comment rendre cinégénique un jeu purement cérébral ?), Scott Frank et Allan Scott auraient pu (du ?) faire en sorte de nous entraîner dans les à-côtés, soit les tourments du génie Harmon. Or, son histoire personnelle étant constituée d’un gigantesque vide (quid de ses parents ? quid de sa relation à la drogue, traitée par dessus la jambe ? quid de ses sentiments, tout simplement ?), les créateurs ont fait le partie d’intégrer des personnages plus « humains » gravitant autour d’elle. Malheureusement, tous ne sont que des satellites, vite expédiés, et voués à nous conforter dans l’idée que le personnage Beth Harmon n’est en fait qu’une coquille vide sur laquelle projeter des fantasmes dramaturgiques jamais aboutis : drogue, frigidité, précocité, solitude, autant de thématiques seulement effleurées, et qui auraient pu faire du Jeu de la dame le véritable événement féministe et un peu malsain qu’il se rêve d’être.

François Corda

| 23 octobre 2020 | Etats-Unis


 

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