TAGADA JONES
à feu et à sang

EnterreAprès avoir enfiévré tant de festivals et de salles avec des hymnes tels que « Mort aux cons » et dans un contexte politique et social pour le moins tendu, il était légitime d’attendre le nouvel album de Tagada Jones au tournant. Las, l’écoute de ce A feu et à sang laisse un goût amer. D’ailleurs, en évoquant avec tendresse et nostalgie les crêtes sur crânes adolescents, le groupe renvoie à son passé glorieux, qui fait ici office de (très) lointain souvenir

Il faut attendre la dernière partie de l’album pour retrouver ce punk braillard et régressif si enthousiasmant, malheureusement trop souvent délaissé pour un rock mâtiné de metal, florissant depuis quelques années sur les scènes hexagonales. Mais lorsque des titres tel « L’addition » se font particulièrement didactiques, sorte de prêts à penser dans l’air du temps, le groupe se plante alors dans une ornière – un comble – moralisatrice. En endossant le rôle d’éditorialistes (mal bien trop répandu aujourd’hui), à commenter des évidences, les (ex-?) punks rentrent dans l’EHPAD de la contestation : leurs constats sont à peu près ceux établis par tous les partis politiques. Alors que le punk – ou la musique contestataire en général – ne se porte bien que lorsqu’il se fait symptôme des maux qui affligent la société, à l’image d’une douleur, viscérale et grégaire.

Tagada Jones pleure une nouvelle révolte manquée (les Gilets Jaunes), comme d’autres musiciens avant eux chantaient la gloire de défaites passées qui ont émaillé l’Histoire (leurs grands frères Bérurier Noir avec des titres comme « Makhnovtchina », ou Renaud dans sa première période avec « Hexagone » ou « Société »…). Seulement le hic réside dans la nature de ce mouvement protéiforme qui vit les Champs-Élysées se parer de jaune samedi après samedi durant de longs mois. Les utopies étudiantes et communardes ont ainsi fait place à un rejet indistinct du politique et à une dangereuse absence de projet sociétal ; Tagada Jones, tout en rappelant à juste titre l’incurie des puissants, s’empêtre dans le même travers, projetant dans ce mouvement ses idéaux de lutte anti-système.

Paré de rouge et noir, le groupe se veut héraut (« Nous avons la rage », « Pour l’amour, pour la gloire »…) des insurgés, exprimant leur colère et luttant sous les coups des brutes assermentées. Dire qu’on croyait à cette révolte est finalement effrayant, tant les peurs et les frustrations projetées par les manifestants étaient plurielles, diverses et parfois contradictoires. Avec pourtant d’excellentes intentions de départ, le groupe s’enlise à son corps défendant dans une sorte de populisme, bien loin de ce côté poil à gratter punk qui n’épargne personne.

François Armand

Tagada Jones / A feu et à sang (France | 30 octobre 2020)

 

Commencez à écrire et validez pour lancer la recherche.