SOOM T
interview

RevueSuite à la sortie de son album Born Again, la chanteuse Soom T investissait en septembre dernier la scène de l’EMB de Sannois à l’occasion de sa tournée. Une prestation intense allait bientôt rassasier le public d’un flow plus rapide que l’éclair, tranchant la fausse nonchalance d’un reggae enrichi d’influences diverses. Le Bub a donc souhaité en savoir plus sur cette artiste inclassable et atypique.

François Armand : Votre dernier album s’appelle Born Again. Cela a-t-il un rapport avec une sorte de renaissance musicale ? Pensiez-vous être parvenue à la fin d’un cycle ?

Soom T : Oui. « Naître à nouveau », c’est effectivement ce que les nouveaux chrétiens connaissent lorsqu’ils vivent une expérience surnaturelle du Christ. C’est ce qui m’est arrivé et cela a changé ma vie, donc je suis « née à nouveau » il y a de ça sept ans. Cela a pris tout ce temps pour vraiment comprendre ce que signifie « Born Again » réellement. C’est le premier d’une série de, je l’espère, nombreux autres albums sur ma renaissance.

F.A. : Il y a une grande tradition du reggae/ragga/dub en Grande-Bretagne. Cela a-t-il influencé votre style ? Comment ?

S.T : Oui bien sûr. J’ai travaillé environ vingt ans avec des producteurs de dub et quinze dans le circuit des soundsystems. Le son de la Grande-Bretagne a toujours été avant-gardiste et original, forcément c’est impossible de ne pas être influencé par les nombreux sons auxquels j’ai été exposé toutes ces années. Je pense avoir capté beaucoup de choses de la scène soundsystem. Je rends d’ailleurs hommage à Kenny Knotts, Topcat, YT, Solo Banton, Marina P, Mungo Hifi, Ms. Dynamite and beaucoup d’autres anciens avec lesquels j’ai eu le privilège de travailler.

F.A. : Il y a beaucoup de sourires dans vos concerts. Cependant quand vous chantez, vous semblez très sérieuse. Est-ce lié au sens du message que vous souhaitez transmettre ? Comme pour mieux le souligner ?

S.T : Je ne savais pas que j’avais l’air sérieuse. Je pense que je suis juste concentrée. Je me donne au micro, parfois même très fort, et cela demande de la concentration pour sonner juste. Un esprit toujours concentré est nécessaire pour transmettre ce que j’ai en tête. Je dois aussi réellement me concentrer à cause de la vitesse, du rythme et de la mélodie des paroles. Ce n’est pas toujours facile à faire, alors j’ai l’habitude de filtrer tout ce qui pourrait me distraire de ma performance.

F.A. : Vous êtes une journaliste dans une autre vie. Sur ce qui vous motive à écrire en tant que parolière, est-ce que ça répond à un même besoin ? C’est-à-dire décrire et analyser une réalité ?

S.T : Je pense que je me suis toujours intéressée à l’actualité en cherchant une vérité sur le monde, la société et les gens. Je continue à chercher et j’essaie d’écrire des chansons qui soient à la fois porteuses d’informations et plaisantes. Je suppose qu’il y a toujours une sorte de journalisme musical car je m’efforce toujours de propager la vérité, celle que je ne vois nulle part dans les médias d’actualités. Les gens réagissent mieux à la vérité lorsqu’elle est transmise avec une punchline marrante. C’est aussi beaucoup plus drôle que la vie de journaliste standard que j’étais. Je pense que nous avons tous besoin d’utiliser nos outils pour obtenir la si nécessaire vérité, en analysant ce que nous voyons et en partageant nos conclusions, sans modifier celles-ci pour une digestion plus facile.

F.A. : Votre style est souvent catégorisé « reggae / hip-hop ». En effet, certains morceaux sonnent reggae mais sans toutes les traditions qui vont avec (par exemple les références à Rastafari ou à Sélassié). Quelle partie de cette culture souhaitez-vous conserver pour votre musique ?

S.T : La moelle. Soit une attitude consciente et la confiance pour louer publiquement le Seigneur dans notre travail. C’est une chose rare de nos jours. Les gens semblent se détourner de tout ce qui a trait à la religion, alors avoir une musique séculaire, une scène qui ne nous exclut pas parce qu’on loue le Seigneur et qu’on chante sur Jehovah et Jah est un petit miracle en soit. Le fait que je puisse le faire avec cette magnifique musique, des musiciens et des producteurs extraordinaires qui me soutiennent, tout en entendant beaucoup d’autres chanter leur vérité, n’est rien de moins qu’une immense grâce du Seigneur. J’ai choisi de chanter sur Jésus-Christ car je crois qu’il est le Roi des Rois, donc je ne prescris pas Sélassié ou Rastafari, même si j’apprécie l’approche qu’ont les rasta pour honorer leurs croyances, et en hommage je fais de même avec les miennes en tant que chrétienne. Le mot « Jah » est en effet prononcé dans la Bible par le roi David, inspiré par le Seigneur. Psaume 68-4 : « Chantez à Dieu, chantez son nom, dressez un chemin à celui qui passe comme à cheval par les déserts: son nom est Jah; réjouissez-vous devant lui. »

F.A. : La musique reggae semble être coincée en ses racines, avec beaucoup de sens mais peut-être un peu dogmatiques, et l’électro dub, qui est davantage de la musique électronique. Quel est votre point de vue sur ce genre actuellement ? Est-ce qu’il a du mal à se renouveler ?

S.T : Un style de musique, comme tout ce qui est créé, a une période de gestation, une période de développement, une période florissante avec le développement de nombreuses branches et enfin une installation dans la durée, comme pour les fleurs et les légumes. Il semble que le reggae s’est transformé pour satisfaire d’autres goûts. Le fait que le dub se mélange avec l’électro pour une nouvelle génération voulant danser plus vite est un phénomène courant. Par exemple le DnB, la jungle et le steppas sont de nombreuses branches du même arbre dub, chacun trouvant sa propre place dans le mouvement sans fin d’un style qui a poussé sans savoir quelle serait sa hauteur et quelle serait la portée de ses branches. Où il y a des esprits libres, tout art ou moyen d’expression se renouvellera, par contre, dans une société qui serait sclérosée, avec un développement stoppé par une négativité incessante, sera moins propice à l’art indépendant, ralentissant nos capacités de régénération.

F.A. : Depuis vos toutes premières productions, avec Monkeytribe par exemple, votre ton est plein de conviction. Born Again reste toujours engagé, même si certains morceaux sonnent plus “pop”. Est-ce que le hip-hop, avec son énergie, est pour vous le meilleur moyen d’exprimer vos émotions ?

S.T: Le hip-hop a toujours été mon premier amour musical. 2Pac a été un vrai artiste, le chercheur d’une vérité, je crois qu’il est toujours en vie. J’ai passé beaucoup de nuits adolescentes à écouter sa rage sur cette vie, avec the Outlawz. Le hip-hop est un excellent moyen d’expression pour transmettre la complexité des sentiments en raison de sa capacité à incorporer une grande quantité de mots et d’idées sans saturer l’auditeur. Je pense toujours que tous les styles de musique peuvent être des véhicules adéquats pour la dissection de la vérité si elle est faite avec passion. Une compréhension large et diverse des genres musicaux est une clé pour entendre l’essence de la vérité émanant de tous.

 F.A. : Une de des particularités – mais ce n’est pas la seule bien sûr ! – de votre identité musicale est votre flow incroyable. Je suppose que ça ne vous est pas venu par un coup de baguette magique un beau matin. C’est à Glasgow que vous avez travaillé votre style ?

S.T : Oui. Glasgow, c’est là que tout à commencé mais là où ça finira, seul le Seigneur le sait. Pour le flow, je ne peux que remercier le Seigneur pour ça. Je crois sincèrement que ça ne vient pas uniquement de mon propre esprit.

F.A. : Il y a plusieurs influences de différentes cultures, différents pays, dans Born Again. Comment avez-vous rencontré tous ces sons ?

S.T : Je pense que les sonorités Africaines viennent du guitariste natif du Maroc Alexandre Bellano, qui est un excellent musicien, très accompli et qui m’a guidée pour les rythmes Africains du morceau Me away. Bien sûr il y a des influences sonores ethniques venant de mes racines Indiennes, lesquelles se sont développées à l’écoute des musiques hindi et punjabi. Les influences orientales viennent des racines Perses de mon producteur iranien Farshad Emam et des artistes de world music qu’il nous a fait découvrir durant la conception de l’album.

F.A. : Y a-t-il une place pour l’Inde dans votre musique ?

S.T : L’Inde tient une place dans la mesure où c’est le pays d’où viennent mes parents et ce sera toujours mon pays spirituel, donc son influence sera toujours présente dans ma musique. Mais ma vraie maison, c’est l’Ecosse, ma famille, mes amis et les gens qui font partie de ma vie. Pour ça l’Ecosse sera toujours chère à mon cœur. Quand je mourrai, je veux que mes cendres soient répandues sur l’Île d’Iona, en Ecosse, où St Columba a fondé son ministère. Dieu bénisse ce petit mais brillant pays et qu’Il bénisse mon pays à l’Est pour m’avoir envoyé m’épanouir à l’Ouest.

 

Crédit photo : CosPix

François Armand

Soom T  / Born Again (Grande-Bretagne | 2 mars 2018)

 

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