Parce que le spectateur d’Il n’y aura plus de nuit ne voit que par les yeux de pilotes d’hélicoptères de guerre le film d’Eléonore Weber nous prend brutalement à témoin. Les yeux des pilotes ont ceci de spécifique qu’ils sont en fait des caméras bien particulières : l’objectif est synchronisé avec le système de visé de l’appareil. Tout ce que le pilote observe devient de fait une cible potentielle, et celui-ci doit décider : « Tel comportement est-il suspect ? Est-ce une arme ? Y a-t-il suffisamment d’éléments pour ouvrir le feu ? ». Difficile dans ce contexte de ne pas convertir son rôle de témoin obligé en juge à part entière. Il n’y aura plus de nuit est entièrement constitué d’extraits d’archives de situations réelles vécues par des pilotes Français et Américains. Et le visage de la guerre qui y est exhibé est glaçant, illustrant parfaitement des rapports de force complètement remis en cause. Il n’y a par exemple plus de principe de réciprocité, l’hélico étant généralement hors de portée des combattants à pied, parfois à plusieurs kilomètres. En dehors des règles d’engagement définies en amont par les états-majors, c’est donc bien à partir d’une interprétation de ce qu’il voit à travers l’œil de sa caméra que le pilote décidera ou non d’appuyer sur la détente. Le caméraman n’a plus seulement le pouvoir de tout voir (grâce aux caméras thermiques ou aux visions nocturnes de plus en plus perfectionnées), il devient tout puissant par sa capacité à tuer.
Ce documentaire a donc deux entrées principales : d’une part il s’agit d’une plongée dans les dilemmes des combattants des démocraties occidentales et leurs guerres dites « propres », pour lesquelles tout est fait pour limiter les risques liés à un engagement de troupes au sol. D’autre part il donne à réfléchir sur la puissance donnée aux images dans une société dominée par celles-ci, et la distanciation qu’elle provoque chez celui qui regarde. Dans un extrait, les enfants d’un village jouent sous l’œil du pilote, il faut un instant pour oublier que des armes sont braquées sur eux et cesser de les percevoir comme des cibles potentielles. Le long-métrage est donc à considérer comme une expérience, car la force du film réside bel et bien dans les flots d’émotions qu’il procure, exerçant à la fois une fascination morbide et donnant à voir la mort dans un contexte réel.
François Armand
1h 16min | 16 juin 2021 | France