CARRÉ 35
Eric Caravaca

DeterreVoyage à travers le temps, l’espace et la mémoire, Carré 35 est un documentaire peuplé de fantômes. Parfaitement rythmée par la musique vaporeuse et inquiétante de Florent Marchet, l’enquête menée par Eric Caravaca sur sa propre famille dépasse une forme d’interdit : celui de plonger dans les abysses de la psyché d’un être cher jusqu’à en faire émerger les souvenirs les plus sombres.

Cela peut d’abord sembler cruel. On pourrait d’abord penser qu’Eric Caravaca, par ses interrogations très directes, sacrifie le droit au secret et à l’oubli de ses parents dans un but égocentrique : retrouver une pièce manquante du puzzle familial, à savoir le visage et quelques faits et gestes d’une petite sœur, Christine, décédée très jeune, avant même sa naissance et celle de son frère ; une petite sœur dont l’existence a été volontairement enfouie dans le tumulte d’une époque, celle de la guerre d’Algérie, et d’une tristesse sans fond, celle d’une mère dévastée.

Mais cette cruauté n’en a que le nom. Car autant qu’on puisse en juger, et ce assez rapidement, Eric Caravaca ne souhaite évidemment pas faire souffrir sa mère, mais plutôt la faire sortir d’un déni, d’un mensonge qu’elle s’est imposée à elle-même (et qu’elle a imposé à sa famille par la même occasion) pendant plus de soixante ans, pour réhabiliter la mémoire de Christine. Quand sa photo surgit enfin après quatre vingt minutes de hors champ sur lequel elle flotte comme une âme damnée, c’est bouleversant.

Carré 35 est une histoire de fantômes on l’a dit. Le fantôme de Christine bien sûr, que l’on délivre à la fin, comme dans un film d’épouvante, ici par une photo apposée sur une pierre tombale. Le fantôme d’un père condamné au silence, et qui, symboliquement, décède d’un cancer du cerveau avant que son fils ait terminé le documentaire. Les fantômes d’une mère enfin : ces souvenirs distordus d’une mémoire dont elle a voulu barrer les connexions avec son cœur et ses synapses. Peuplé d’images d’archives, de photos de familles jaunies, de témoignages déroutants, Carré 35 est un thriller spectral qui ne dit pas son nom.

François Corda

| 1er novembre 2017 | France

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