Party Girl
Marie Amachoukeli, Claire Burger, Samuel Theis

EnterreParty Girl ne serait pas le genre de film que l’on fait habituellement au cinéma – c’est en tout cas ce que disent ses réalisateurs. Il semble au contraire que Party Girl s’amalgame parfaitement avec ce qui, aujourd’hui, représente un modèle de cinéma.

b#1
Quand il s’agit de filmer les classes les moins privilégiées ou à la marge, on parle d’authenticité. Dans Party Girl, cette variété de naturalisme est pareillement brandie : cabaret glauque, anciens mineurs, famille d’accueil, concours de ball-traps, saucisse-barbecue. C’est un naturalisme qui agit seul, dénué de visions du monde : le fusil est littéral, voire anecdotique, la saucisse aussi. Les personnages n’échappent pas plus au cadre qui les enserre. On filmera même tes chaussures quand tu les enlèveras. Mais sans raison.
bub
#2
C’est du film de fusion, entre le personnage et son biotope. Tu cadres l’acteur de sorte à ce qu’il ne puisse pas se déployer. Tu t’obstines sur le visage. S’il n’en surgit rien, continue malgré tout, c’est réel. Tu capteras ce qui arrive devant la caméra, sans te poser de questions impromptues (structuration du temps, rapport à l’espace, zones d’écoute, champ d’action). Si tes scènes ne se transforment pas en récit, s’il n’y a aucune épaisseur au présent de l’image, c’est normal. L’image est pauvre : tu as voulu te fondre dans ce que tu filmais, tu en extraies une fondue.
bub
#3
Des personnages à la marge, mais à la marge de quoi ? Party Girl est aussi un film sur un fils dont on dit qu’il a réussi car il s’est extrait de Moselle pour vivre à Paris. Ce fils est l’un des trois réalisateurs. Il parle la langue de Paris, une langue sûre d’elle, de la prétendue réussite de celui qui la parle. Si le film est réaliste, c’est d’abord dans le décalage de la langue du fils prodigue par rapport à celle de ceux qu’il exhibe – une langue accentuée, mais une langue sans couleur, pas libérée des parlures télévisées des maîtres. Ça aurait pu être intéressant de rester sur le frère qui est resté (fragile maladresse) au lieu de partir sur celui qui est parti et qui dicte des lettres à lui renvoyer pour qu’il corrige les fautes d’orthographe. Car des fautes d’orthographe, il y en aura, et d’ailleurs tu les filmeras. Sois obscène jusqu’au bout.
bub
#4
Remettant la Caméra d’or au film au dernier Festival de Cannes, Nicole Garcia, présidente du jury, parla d’un film « sauvage et mal élevé ». De fait, ce cinéma-là, qui convoque Cassavetes et Pasolini, ne fait que donner à manger à la classe qui le choie, et qui aime se dire qu’elle est sauvage. Parqué dans l’affichage d’un certificat de subversion, docile, le film est encore une fois plus intéressant comme portrait de groupe (de jeunes intellectuels parisiens) que comme celui d’un personnage (une vieille entraîneuse mosellane). Quant à Cassavetes, au Meurtre d’un bookmaker chinois ou à tout autre de ses films, on pourrait aussi bien ne rien vouloir comparer.
bub
#5
Le film est fabriqué comme le portrait d’une femme formidable, l’héroïne, Angélique. Nulle étincelle. Emotion nulle. Viendra alors le chantage, de plus en plus courant : « Comment ne pas aimer un tel personnage ? » En découlera naturellement : « Comment ne pas aimer un tel film ? » Comment ne pas envisager le type de questions précédentes comme une terreur ?
bub
#6
Il est assez révélateur de mettre côte à côte la manière dont les trois réalisateurs filment le cabaret avec celle de Virgil Vernier dans Orleans. Ce moyen métrage sorti en 2013 vagabondait entre discussions décousues sur des rêves de jeunes femmes, séances de maquillage tout aussi loquaces, clients timides aux gestes impréparés. Les plans laissaient émerger l’incertitude du lieu et son étrangeté. Dans Party Girl, les signes sont tristement logiques et les jeunes mâles matent des corps filmés en plongée. Chaque fois que le personnage principal quémande de l’opacité, chaque fois qu’on aurait pu rester à la lisière de l’énigme, l’obscénité du film commande qu’on n’y reste pas : à plusieurs reprises, on demande à Angélique de s’expliquer – « mais que veux-tu dire, explique-toi » – avec une assurance qui laisse perplexe.
bub
#7
Dans un texte récent intitulé « Une maladie du cinéma français », Eugenio Renzi écrivait ceci : « La maladie reste et risque de devenir épidémique. Car elle n’est pas la conséquence d’une certaine conception du cinéma, ni d’un effet de mode, mais d’une dérive d’un certain mode de production […] reposant entièrement sur la sélection de scénarios par des commissions de lecteurs. » A voir Party Girl, on se dit que non, que la menace ne vient pas d’abord de ce processus de fabrication. On se dit qu’elle tient bien à une conception du cinéma qui confond l’intimité et le surgissement de l’émotion, le réalisme et le réel, et fait passer le docile pour du « mal élevé ». Un cinéma proportionnel : plus on dit je t’aime, plus on devrait aimer. Un cinéma où flotte une idéologie selon laquelle le signal varierait de manière analogue à la source, où une scène d’engueulade est une scène d’engueulade, où les choses signifient ce qu’elles sont, sans horizon possible. La menace est là, dans le succès d’un tel film : il modélise ce cinéma conventionnel et obscène comme une forme à promouvoir.bubbubbub

Marc Urumi

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Party Girl de Marie Amachoukeli, Claire Burger, Samuel Theis (France ; 1h35)

Date de sortie : 27 août 2014

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