–—Pourquoi Garret Lee est-il aussi intriguant ? Parce que cet irlandais, indirectement connu du grand public pour produire U2, Weezer, Snow Patrol, Editors, Bloc Party, R.E.M., et même Crystal Castles, est avant tout un musicien et compositeur hors-pair qui ne bénéficie malheureusement pas de la même couverture médiatique que ses poulains. Curieuse situation qui remet implicitement en cause tout ce que l’on pense savoir sur l’importance des contacts et autres pistons dans le monde pourri de l’industrie musicale.
Au départ le musicien Garret Lee est né avec Compulsion, groupe de punk nineties dans lequel il tient la guitare, et donc les mélodies. Et on peut dire que ça dépote : enchaînement de riffs décapants, le tout saupoudré parfois d’un esprit pop sixties, l’efficacité est surprenante et l’on se demande pourquoi ce deuxième et dernier album du combo n’a pas laissé plus de traces dans la mémoire collective. Surtout quand l’on sait que c’est au détriment de concurrents comme Offspring ou Greenday…
Pourtant la matière est là pour forger le culte : très belle attention portée au son (grain des guitares, superbes plages de bruit, effets électroniques qui n’ont pas pris une ride), jolie variété d’ambiances (entre heavy, pop, punk et parfois donc rock sixties), une section rythmique implacable et enfin une voix brute qui fleure bon les quartiers prolétaires irlandais.
L’autre visage de Lee est donc ce projet solo, Jacknife Lee, inauguré par le très coloré Muy Rico en 1999 alors qu’il démarrait en catiminie sa carrière de producteur. Là encore, l’Irlandais s’y montre très malin, sachant rallier à sa cause, avec une certaine forme d’humour, les amateurs d’électro exigeante et ceux du courant abstract hip-hop (façon DJ Shadow), avec beaucoup de samples. Nous préférerons ici nous attarder sur son dernier effort, éponyme, qui synthétise parfaitement ce genre bâtard qu’est l’électro rock.
L’album est court, rentre-dedans. Les beats sont directs, imparables, et les guitares, très itératives, ne s’encombrent pas d’effets. Elles produisent de la mélodie, du riff, et ça tombe bien : c’est tout ce que l’on est en droit de leur demander dans un style qui se veut aussi accrocheur que celui-ci. Jacknife Lee impressionne donc par sa manière de résumer en 10 morceaux, avec une matière aussi simple, l’essence d’un genre qui n’a jamais vraiment percé faute d’humilité.
C’est cela que l’on aime chez ce personnage : cette discrète schizophrénie qui, derrière le costard de producteur de groupes maousses, révèle un vilain petit canard touche à tout et donc touchant.—
François Corda
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