CLONES
Jonathan Mostow

Il y a une saveur particulière à revoir Clones (2009) à l’aune de la pandémie de COVID-19. Car en ces temps de confinement, le clonage ne serait-il pas le remède miracle ? Commandé depuis chez soi, notre double irait travailler, ferait nos courses, se rendrait au cinéma, en concert… sans que l’on risque quoi que ce soit. Plus qu’un clone d’ailleurs, le double en question serait plutôt notre substitut (comme le défend plus justement le titre original, The Surrogates) ; une sorte d’autre soi sous carapace synthétique. Aussi bien un avatar, potentiellement trompeur sur notre genre et notre aspect physique, qu’un cyborg augmenté habité par notre propre cerveau.

Rarement dystopie aura trouvé un tel écho avec l’actualité. De quoi aviver de nouveaux fantasmes technologiques bien sûr, mais surtout de rendre le propos de Clones aussi crédible qu’il peut l’être : c’est-à-dire que le futur proche offert à nos yeux n’a jamais semblé aussi tangible (peu de technologies révolutionnaires mis à part les clones à proprement parler). Même si, comme dans toute dystopie, les curseurs du dérapage bioéthique sont poussés à leur maximum : dans Clones, plus personne ne sort de chez soi, et les gens vivent tous par procuration ; sauf quelques enclaves dans les grandes villes qui font office de villages gaulois dirigés chapotés par un grand gourou adepte du 100% bio (Ving Rhames, aussi massif que clownesque).

En dehors du contexte particulier dans lequel on le revoit aujourd’hui, si Clones est tant jouissif, c’est aussi qu’il suinte d’ironie macabre. La pseudo vie sociale se résume ici à des plans défonce entre Kens et Barbies, dans un univers photoshopé. Mais l’envers du décor, ce sont des corps lourds au visage terreux, au regard vitreux. Avec en toile de fond ce drame des interactions sociales et de l’intimité (chouette idée du couple en fin de course, abimé par la vie), Jonathan Mostow intègre dans un même corps filmique bourrinade Cameronesque (les deux scènes de courses-poursuites, qui cassent tout sur leur passage, en forme de jolis clins d’œil à Terminator) et poésie eschatologique façon Shyamalan période Phénomènes (cf. la scène finale, sidérante).

Le réalisateur américain manie le chaud et le froid avec une réelle dextérité : Clones est ainsi tour à tour flippant, dans la façon qu’il a de nous immerger dans ce monde peuplé de fakes (la première sortie « humaine » de Bruce Willis est suffocante à souhait), et cocasse, dans la mesure où il n’hésite pas à se moquer de la chirurgie esthétique, du statut de l’acteur bellâtre (Willis relooké en blondinet chevelu), et du courant new-age (la poche de résistance radicalisée, devenue totalement hermétique au monde qui l’entoire). Petit tour de force curieusement boudé à sa sortie, Clones est un objet bâtard, qui, via la débauche numérique, nous incite à sortir de chez nous, nous toucher, nous rencontrer ; bref, à fermer le PC et à (re)commencer à vivre.

François Corda

1h 25min | 24 septembre 2009 | Etats-Unis

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