INVISIBLE MAN
Leigh Whannell

EnterreIl y avait tout à craindre et paradoxalement beaucoup à espérer de cette nouvelle adaptation du mythe de l’homme invisible. De la crainte parce que Leigh Whannell est un fidèle de l’écurie Blumhouse qui, à de rares exceptions près (Get Out, The Visit, The Bay, le Halloween de David Gordon Green), témoigne d’une vision du cinéma d’épouvante au mieux très conventionnelle (la série des Conjuring, Sinister ), au pire complètement désincarnée (Paranormal Activity, American Nightmare). Mais l’espoir s’imposait aussi après la vision du deuxième long de Leigh Whannell, le bien nommé Upgrade, film de SF fauché, pétillant et trépidant, qui évoquait de loin en loin l’audace d’un District 9.

Malheureusement, on sent pendant les deux longues heures d’Invisible Man que Leigh Whannell est paralysé par son sujet. Est-ce un film sur une relation amoureuse toxique, avec un penchant féministe assumé ? Pourquoi pas. Sur ce versant, le film aurait pu se montrer captivant… s’il avait bien voulu réellement intégrer son personnage masculin dans un récit qui, par ailleurs, amorce des pistes sans jamais les mener quelque part. Thriller sans tête (le twist est ici, comme trop souvent, un « truc » de scénariste, quand il devrait, aussi, être un argument de mise en scène), jumpscares attendus, ambitions sociologiques (climat post #MeToo), Whannell multiplie les fausses pistes pour faire oublier son sujet principal, et dont il ne sait visiblement pas quoi faire : comment filmer l’homme invisible au XXIème siècle ?

Verhoeven et Carpenter, pas précisément des amateurs donc, s’y sont risqués il y a maintenant plus de vingt ans. Et Les Aventures d’un homme invisible comme Hollow Man ont la réputation de vilains  petits canards dans des filmographies par ailleurs souvent considérées comme intouchables. Pourtant, entre le côté volontairement suranné du premier, et l’hystérie du second, on trouvait un élan fun (et trash dans le Verhoeven) qui n’est jamais effleuré ici. Les quelques clins d’œil entendus au classique de James Whale (les éternels bandages, les marques de pas…) le soulignent : jamais Whannell ne s’émancipe des réalisateurs qui le précèdent. En faisant le choix délibéré (et étrange, étant donné le titre de l’oeuvre) de laisser à l’homme invisible les miettes d’un personnage très secondaire, Leigh Whannell avoue son impuissance face au sujet.

Ce qui fait le sel de l’invisibilité, c’est la jouissance ; celle de voir sans être vu, celle du sentiment de toute-puissance. Rien de tout cela ici ou si peu, puisque le film tourne essentiellement autour du personnage de Cee, une victime qui incarne plutôt la fragilité, la douleur, la pudeur…  Ce parti-pris n’est pas contestable, mais relègue irrémédiablement la thématique de l’invisibilité au rôle de gadget. On ne va pas refaire l’histoire du film, mais en conférant le pouvoir d’invisibilité à une femme, Leigh Whannell n’aurait-il pas gagné son double pari ?

François Corda

| 26 février 2020 | Etats-Unis


 

Commencez à écrire et validez pour lancer la recherche.