J’VEUX DU SOLEIL
François Ruffin & Gilles Perret

EnterreOn pourrait se satisfaire de J’veux du soleil sous le seul prétexte qu’il donne la parole à des gens qui ne l’ont jamais et qu’il immortalise un mouvement, celui des Gilets Jaunes, qui semble aujourd’hui avoir eu lieu il y a une éternité. Une fois cette base posée, il est difficile de ne pas se sentir frustré après la vision de ce deuxième long-métrage du désormais député François Ruffin. Car en 1h20, le portrait est forcément partiel, et, venant d’un élu de la République, partial.

On achève J’veux du soleil comme on achèverait un puzzle auquel il manque la moitié des pièces. Que Ruffin ait volontairement exclu de son tableau la violence des affrontements des grandes villes est un parti pris que l’on doit saluer. Le mouvement vient du monde rural et de la périphérie des grandes agglomérations, et était au départ exclusivement pacifique. On peut en revanche se montrer beaucoup plus circonspect vis-à-vis de la forme du documentaire :  le temps de parole accordé aux personnes interrogées est réduit à peau de chagrin et on peut trouver ça un peu douteux dans la mesure où François Ruffin a tout de même sillonné la France pendant six jours. Il est ainsi souvent difficile (impossible ?) de s’immerger dans ces tranches de vie racontées en quelques courtes minutes, ces parcours qui ressemblent pourtant de près à de vraies descentes en enfer (ou plutôt au purgatoire, à l’aune de la pauvreté beaucoup plus féroce qui sévit dans la plupart des autres pays du monde). Il n’est pas du tout question ici de relativiser la tristesse et le ressenti des personnes que François Ruffin interviewe (bien que le misérabilisme rôde au détour de quelques plans). Mais plutôt de se demander le but de son initiative. Voulait-il se convaincre lui (que ce n’était pas un mouvement d’extrême droite) ? Ou souhaitait-il convaincre les « autres », sous-entendu le pouvoir médiatique, politique et plus globalement la tranche de la population très critique envers le mouvement ?

Car dans les faits, le triste constat c’est que J’veux du soleil, par son approche et son format très (trop) court, convaincra seulement les convaincus : oui, le système social français se dégrade, oui, Macron est arrogant, le porte-parole d’un capitalisme déshumanisé, et oui, l’être humain se sublime par l’entraide et le fardeau partagé. Mais qu’en est-il des « autres » évoqués plus haut ? Comme le dit Alain Lacoste, le maire de Saint-Julien-du-Serre, lorsqu’il s’adresse à Emmanuel Macron par le biais de François Ruffin : « Vous êtes né dans un autre monde et vous ne comprenez pas le peuple. » Ce à quoi il ajoute « C’est jamais simple d’affronter la pauvreté et la souffrance. » Non ce n’est jamais simple, surtout pour quelqu’un qui ne l’a jamais connue ou rencontrée. Mais à aucun moment François Ruffin ne feint d’ouvrir une porte entre ces deux mondes, et plus particulièrement de vouloir convaincre ceux qui doivent encore l’être. Par des témoignages fouillés, une multiplication des interviews, bref une vision globale qui aurait sans doute mérité de ne pas passer six jours sur la route (apparemment insuffisants à récolter suffisamment d’interviews potables), mais deux ou trois fois plus. En l’état, il est de toute évidence trop simple de rétorquer à Ruffin qu’il montre ce qu’il veut bien montrer, qu’il ne s’agit pas d’une réalité à l’échelle nationale, mais simplement d’un montage qui s’accommode de la vérité sociétale qu’il veut véhiculer en tant qu’élu de gauche. Autrement dit, J’veux du soleil n’est rien de plus qu’une parole contre celle des « autres », loin de l’analyse sociologique que le film aurait pu être.

Paradoxalement pourtant, un beau sentiment s’immisce et s’installe progressivement pendant la vision, en cette période de confinement, de J’veux du soleil : une forme de nostalgie, qui naît du souvenir d’un beau mouvement populaire, enfoui pour le moment dans la mémoire collective par la faute d’une pandémie. Toutefois, une fois celle-ci passée, la flamme aujourd’hui éteinte aura sans doute toutes les bonnes raisons de se raviver.  Et le documentaire sur le mouvement des Gilets Jaunes restera encore à écrire.

François Corda

| 3 avril 2019 | France


 

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