FAHRENHEIT 451
François Truffaut

DeterreDans une interview donnée à propos de Fahrenheit 451, Truffaut dit en évoquant la genèse du projet « Je trouvais que faire de la science-fiction, c’était manquer d’imagination » (source : lien). La lecture de l’œuvre de Bradbury suscita pourtant son intérêt, suffisamment pour qu’il décide de se lancer dans l’aventure de son adaptation. Mais le réalisateur Français prend le parti de ne rien céder à l’iconographie de la SF ou à la vacuité – supposée – de sa dimension potentiellement épique. Sa déclaration montre clairement son mépris à l’égard du genre, et sans surprise, son film ne représentera que trop bien toute la gêne éprouvée par le cinéma français à l’égard d’une littérature dite – aujourd’hui encore – de l’imaginaire.

A la décharge de Truffaut, en 1966, personne ne prend véritablement la science-fiction au sérieux dans le milieu du cinéma. Les cinémas de quartier et les channels américains de télévision sont envahis par des productions remplies de martiens en combinaison de plongée bariolée, de filles en bikini ou de monstres en tous genres, godzillesques pour la plupart. A quelques exceptions près (Le Village des Damnés en 1960), peu d’entre eux marqueront d’ailleurs véritablement cette décennie, succédant aux années 50 qui virent débarquer sur les écrans Planète Interdite ou Le jour où la Terre s’arrêta par exemple. Lorsque le réalisateur français raconte une société dans laquelle on brûle les livres et où les écrans tiennent une place centrale dans les foyers, c’est vraisemblablement l’émission d’une pensée critique face au sensationnalisme et la sidération provoquées par les films Hollywoodiens. Mais patatras, en 1968, deux œuvres majeures changent à jamais le cinéma d’alors : 2001 l’Odyssée de l’Espace et la Planète des Singes. Tous deux adaptés – plutôt fidèlement – de romans, ces monuments ouvrent la voie pour la S-F (avec l’imagerie associée) et à ses nombreux succès futurs. En-dehors de toute considération sur la question des moyens, sans commune mesure avec les films précédemment cités évidemment, il n’est pas interdit d’estimer que Truffaut loupe ce coche, tant il avait de la matière pour inscrire son film dans ce tournant majeur. Le réalisateur refuse de réfléchir à ce qui fait la sève d’une fiction d’anticipation : c’est-à-dire non pas ses gadgets, mais bien les questions des concepts, de la sociologie, de la politique… Bref l’enjeu lorsqu’on représente une société fictive, c’est bien de l’ancrer dans un imaginaire, donc c’est une affaire d’imagination. « Il n’y a pratiquement qu’une seule scène de science-fiction, celle des hommes-volants qui recherchent Montag en fuite. Les choses de science-fiction sont très difficiles à réaliser et risquent souvent d’être ridicules. » dira-t-il aussi et c’est précisément parce que les gadgets sont le fruit d’une réflexion sur cet imaginaire qu’il refuse l’obstacle, freinant des quatre fers.

Le film est construit autour de deux personnages féminins antagonistes jouées par la même actrice. D’un côté Julie Christie est Mme Linda Montag, complice du système, et de l’autre Clarisse, institutrice aux propos séditieux. Ce coup de génie permet de brouiller les pistes, d’ébranler les repères du spectateur autant que du protagoniste Montag (joué par un Oskar Werner, celui de Jules et Jim, en roue libre), et ne fait qu’esquisser une réflexion autour du conformisme ou de la marginalité… Tous les jugements que peut émettre le spectateur à l’égard de Linda et Clarisse sont relativisés par un même visage. Truffaut donne à voir deux archétypes dépersonnalisés : tout le monde pourrait être l’une ou l’autre. Bref c’est une idée sublime mais qui ne résiste malheureusement pas longtemps à l’absence de parti-pris stylistique. Le cinéaste veut filmer des autodafés, multiplie les plans de bouquins en proie aux flammes, cherche à traiter les livres comme autant d’êtres humains jetés au bûcher, recrée des tableaux aux couleurs d’incendie… En construisant ces images, il raisonne, rationalise, synthétise, commente le roman de Bradbury. Mais les pompiers ne font pas peur, le monde qu’il dépeint à l’air vide. En voulant le rendre réaliste, il le rend factice.

Aujourd’hui certains aspects du film semblent bien désuets tant la réalité a pris le pas sur ce retro-futurisme de pacotille. Les murs-écrans décrits dans le roman deviennent bien petits dans le décor du film par rapport à nos téléviseurs 4K. Pas de robot limier, pas de ville mécanisée, le réalisateur a peur du ridicule et du kitsch. Il dit penser son film en images, mais se vautre à mi-chemin entre réalisme et modernité. Après avoir pris un risque en s’attaquant à une production internationale, c’est comme s’il se réfugiait en quelque sorte dans une zone de confort sous couvert d’offrir un acte de résistance fort et sans compromis. Mais dans cet entre-deux, le Français tombe dans un travers culturel bien hexagonal, une sorte d’arrogance héritée des Lumières qui célèbre la pensée critique et méprise, pour le dire vite, tout ce que représente l’entertainment.

La (re)lecture du roman original convainc pourtant sans peine de son actualité : la dualité de Montag – celle de l’homme moderne, coincé entre celui que la société attend qu’il soit et celui qu’il découvre et est réellement -, la toute puissance des médias, la prépondérance des émotions dans les médias, les interactions du public, l’absence de filtre entre l’image, l’œil et le cerveau, la surveillance de masse… Ray Bradbury était un prophète. Par la verve de son écriture, il démontrait la capacité à faire ressentir l’angoisse, la paranoïa mais aussi l’espoir par la seule force des mots.

Le film Fahrenheit 451 se trouve incapable de nos jours à rappeler l’importance de la culture dans une société qui a largement dépassé les cauchemars de Bradbury, et ce uniquement à cause de sa forme, trop étriquée dans une réalisation fascinée par les flammes, mais oublieuse des conséquences de celles-ci, comme si l’abrutissement des masses et la fabrication du consentement allaient de soi lorsqu’on s’attaque au langage écrit. A n’en pas douter, ce film reste plus que jamais celui d’un intellectuel, légèrement dédaigneux du cinéma populaire. Le Farenheit 451 de Truffaut fut d’une certaine manière annonciateur des tentatives françaises à venir dans le genre, bien souvent ratées, étriquées d’un point de vue esthétiques.

François Armand

1h 52min | 16 septembre 1966 | Grande-Bretagne

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