DOOZ KAWA
interview

Revue Depuis cinq albums déjà, Dooz Kawa a pris une place importante et singulière dans le paysage du rap hexagonal. Instrus mélancoliques, textes ciselés chargés d’une poésie faisant se côtoyer le désespoir, la colère et l’espoir, pas d’autotune, son dernier opus Nomad’s land contient plus que jamais l’essence de son style caractéristique. Plutôt rare en interview, le rappeur a accepté de répondre aux quelques questions du Bub par mail.

François Armand : Qu’est-ce qui prime entre le fond et la forme ? L’émotion (la mélancolie omniprésente) ou la raison (par les textes) ?

Dooz Kawa : Je crois qu’on est des équilibristes, la forme est l’équilibre, le fond est l’abime. On a le droit de nager dans la mélancolie, mais il faut savoir retourner au bord sinon on se noie. Nous avons une tendance à rejoindre une des deux familles mais il ne faut jamais perdre de vue les conséquences que l’on obtiendra. Je pense toujours au cœur, au corps et l’esprit, le corps est mon intégrité physique, le cœur est mon fond et l’esprit est ma forme.

F.A. : Pourquoi une forme littéraire, construite, élaborée, est-elle le bon média pour s’accoquiner avec un son plus viscéral, tapant clairement sur certains tracks, loin des nappes électro qui envahissent les productions actuelles, ou au contraire porté par des cordes mélodiques ?

D.K. : Je pense que la question est biaisée, tu prends parti avant d’obtenir la réponse, peu importe le média tant qu’il y a l’ivresse, dans la difficile conquête du bonheur, il existe plusieurs voies d’approche, nous n’escaladons qu’une paroi et ne sachant pas ou chacun atterrira, je ne pense pas avoir la légitimité d’être la voie de l’absolu.

F.A. : Je suis peut-être à côté mais tu sembles entretenir un rapport assez intime avec la philosophie. C’est l’art du questionnement permanent, on sent qu’il y une nécessité derrière, notamment pour savoir de quoi on parle (si on aborde la question de l’identité par exemple). Est-elle un outil pour comprendre tes ressentis et pouvoir écrire dessus ? Ou est-ce plutôt un apport qui vient dans un second temps, comme pour dialoguer avec tes écrits ?

D.K. : Je ne connais pas d’autre façon de vivre, je ne peux donc pas savoir quel est son impact déterministe et s’il existe d’autres façons d’appréhender la vie, ni quel en aurait été l’impact sur ma vision de l’existence.

F.A. : La posture est par instant désabusée, voir cynique. C’est ce qui ressort en tout cas. Est-ce de la lucidité ou du pessimisme ?

D.K. : J’ai souvent fait l’amalgame entre pessimisme et réalisme, à tort ou à raison. Beaucoup de constats sont décevants, est-ce pour autant du pessimisme ou de la lucidité. Je crois que pessimisme ou optimisme sont une fausse dualité lorsque l’on essaie de faire ressortir l’objectivité des choses. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, je temporise beaucoup d’affection, par justesse pour mes auditeurs et pour garder une approche objective du monde dans lequel on vit. Je suis inquiet mais il me semble que j’ai manqué dans mon approche à ne pas le faire ressentir.

F.A. : « Ode à l’Etat » est un pamphlet plutôt définitif sur le monde politique. N’y a-t-il donc rien à sauver ? Quelle que soit l’échelle (locale, nationale…) ?

D.K. : Je pense que les politiciens actuels sont les héritiers d’une fausse démocratie grecque antique qui n’a jamais eu lieu et qu’on essaie de nous vendre comme légitime. Il me semble que si vous votez pour des gens qui ont décidé depuis leur adolescence qu’ils seront vos puissants, il faut se méfier d’eux. Uniquement des cas pathologiques choisiraient depuis leur jeunesse d’avoir pour objectif de soumettre les autres. La sélection par le niveau social joue en défaveur du bon jugement. En résultante, je crois que cette fausse démocratie politique que l’on essaie de faire avaler au peuple n’est que la légitimation du pouvoir écrasant des puissants sur l’humanité. Je citerai Coluche « si voter changeait vraiment les choses, ça ferait longtemps que ce serait interdit ».

F.A. : Des lyrics poétiques, imagés et délicats, et des passages plus crus, voire sales, se côtoient d’un track sur l’autre. Le beau, le sale, l’un ne va pas sans l’autre ? C’est indissociable ?

D.K. : Qui définit ce qui est beau et sale sinon une morale archaïque ? Je préfère imaginer que je me construis par rapport à une éthique de bon sens qui essaie de détruire les passions tristes.

F.A. : L’artwork, le recours fréquent aux mythes ou l’onirisme me font dire que l’approche reste dans la lignée de l’opus précédent Contes Cruels, c’est toujours la bonne image qui est recherchée pour servir de catharsis ?

D.K. : A quoi servirait une œuvre d’art qui ne serait pas cathartique ?

F.A. : Ton rapport au rap est parfaitement bien imagé (Voir l’extrait du morceau « Artiste » ci-dessous).  Je ne peux néanmoins pas m’empêcher de penser que tu te situes davantage dans la lignée des années 90’ en France (Assassin par exemple…) et qu’on n’aurait pas comparé le rap à une fille avec qui on couche sans respect à l’époque. L’ADN du genre a-t-il changé ou c’est juste qu’on a oublié ?

D.K. : Je crois que l’innocence du rap a été rattrapée par le capitalisme. Le capitalisme est si puissant que ceux qui s’y opposent et qui trouvent un écho commercial se trouvent décrédités par leur succès. Je ne crois pas qu’avant c’était mieux mais je crois qu’avant c’était jeune et on n’investissait pas sur des gens qui étaient représentatifs d’un épiphénomène. Maintenant le rap représente une manne financière importante. Quelle est la place d’un révolutionnaire qui réussit financièrement ? Le capitalisme a tout détruit par auto-phagocytose.

François Armand

Dooz kawa  / Nomad’s land (France | 31 janvier 2020)

 

Extrait du morceau « Artiste » :

« C’est trop facile d’être rappeur car j’vois bien qu’le reste est nul
Et j’suis séduit par le hip-hop, j’lui glisse la main sous le pull
Même si le rap est une salope qui du reste simule
Et me demande ouvertement « A quoi tu sers si tu veux pas faire de l’argent ? » »

 

bub

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