PYRECULT
interview

RevueAprès une prestation chaotique sur la scène du Gibus aussi totale que violente, Cédric (chant), Joachim (guitare) et Ilan (basse) ont retrouvé le Bub pour une discussion passionnée autour de ce qui fonde en particulier Pyrecult, sa lecture de la société, et ce que le groupe partage avec la scène hardcore : sueur, brutalité, valeurs et bienveillance.

François Armand : Pyrecult mélange allègrement hardcore et black metal, notamment avec des passages très lancinants…

Joachim : Ah pour le passage lancinant, t’as écouté le premier morceau du set : « Absence of empathy ». C’est un truc qu’on n’avait jamais fait avant.

Cédric : Ben le premier morceau du set, c’est le dernier morceau qu’on a composé tous ensemble, avec le nouveau batteur. Dans Pyrecult, on en est déjà au troisième batteur. On a eu des hauts et des bas, on a fait des pauses. Mais on n’a jamais rien lâché comme tu as pu le voir, et là on a un nouveau batteur depuis 6 ou 8 mois. Ca c’est le tout premier morceau qu’on a composé avec lui quand il est arrivé dans le groupe.

Ilan : Ceci étant dit, en regard de mon historique personnel de composition, avec mes précédents groupes, il y a toujours eu, sachant que je viens plutôt de la scène hardcore, ces petits apports vraiment metal, ces trucs un peu des années 90. Il y a toujours eu ce côté metal, black ou death, mais en tout cas extrême. Ca a toujours été en filigrane depuis que je fais de la musique, depuis que j’ai quinze piges. C’est-à-dire faire du hardcore mais rajouter ces influences en plus. Ce groupe, Pyrecult, c’était le line up parfait…

Cédric : On a la même culture de ce point de vue-là.

Joachim : Tout droit issue des années 90. Metal hardcore des années 90.

Cédric : Le cross-over quoi.

Ilan : On a tous joué dans des groupes avant, et je crois que c’est quelque part le fantasme qui nous caressait depuis un certain temps de faire un groupe où on est libre de faire tout ce qu’on veut.

Cédric : C’est vrai qu’avant de se connaître, on écoutait déjà les mêmes trucs.

Joachim : On peut se retrouver sur scène et porter le même t-shirt du groupe All Out War… On est turbo-fan (rires).

Ilan : Je pense qu’en fait ça a mis du temps mais ça s’est créé de manière organique. Plutôt que de choper des musiciens qui traînent plus ou moins dans la scène hardcore, via des annonces par exemple, bon là on se connaissait tous, depuis super longtemps. On avait les mêmes références, les mêmes kifs…

Joachim : On n’est pas dans l’expansion musicale de ouf. On joue peu, par-ci par-là. On a tous un boulot, on fait tous un truc. On fait ça pour le kiff. Jouer c’est sur scène que ça se passe, créer des nouveaux trucs, c’est là… Si on peut envoyer en même temps du pâté, faire groover… La brutalité et les parties techniques black metal, le blast niveau batterie, ça c’est une chose, mais derrière il faut que la musique fasse des vagues, faut qu’il y ait des creux. Moi, je ne veux pas voir un morceau ultra linéaire, il faut que ça groove. Je veux que les gens se mettent sur la gueule.

Cédric : On partage ça (rires)

Joachim : Je fais ce que j’ai envie de voir sur scène.

Ilan : On a besoin d’un truc violent, mais pas des trucs à la Marduk avec un tapis de double-pédale. C’est cool, j’aime beaucoup tu vois. Mais nous on a besoin de ces passages hardcore où ça retombe, où la violence s’exprime vraiment, où ça t’explose à la gueule.

Joachim : Dans les codes du hardcore et de la danse violente aussi, parce qu’on a grandi là-dedans.

F.A. : Donc niveau musical, c’est très clair. Et au niveau des thématiques ?

Joachim : Aouch !

F.A. : Parce que c’est le grand écart…

Joachim : Ouais, non enfin pas spécialement. On écrit beaucoup à deux. Cédric et moi. On veut injecter des choses un poil réfléchies, potentiellement un peu intelligentes. On a des thématiques sur des délires de déviances messianiques. Un morceau comme « Redemption through sin » ça parle d’une déviance messianique qui existe réellement, qui est très minoritaire dans une certaine religion et qui a la volonté d’inverser les valeurs. Le messie viendra quand on inversera les valeurs actuelles de la bienveillance, de tout ce qu’on connaît des bonnes valeurs du monothéisme, mais on a d’autres trucs un peu plus géopolitiques. Moi ce sont des sujets qui me passionnent. Dans mon cursus scolaire et idéologique, j’ai essayé de trouver de la justesse dans les choses, de creuser et de ne pas avoir un positionnement seulement manichéen. Ca c’est pas bien, ça c’est bien, on détient la vérité… On parle beaucoup de guerre psychologique, de stratégie d’influence, de manipulation.

Ilan : Ce qui est intéressant, c’est que ça vient de Joachim et de Cédric, mais ce sont des thématiques qui me plaisent, sur lesquelles j’aurais aimé écrire mais je suis plus sur la compo des instruments. La composition des paroles, j’ai du mal. Mais ce qui est cool, c’est que de manière très naturelle, on va faire des choses qui plaisent à tout le monde [dans le groupe]. Tous les sujets dont ils parlent, ce sont des trucs qui me parlent personnellement. J’ai un père qui est historien, archéologue, qui était anarchiste sous l’époque franquiste, qui a du quitter l’Espagne parce qu’il était activiste. Arrivé en France – il était fiché aux RG – on lui a montré une photo de lui en train de manger avec sa famille, en lui disant : « mec, t’es fiché, tu ne fais pas le con ici ». Jusqu’à ce que j’ai vingt-cinq piges, il se baladait avec un flingue sur lui. Quand t’as cette éducation, derrière tu vois tout ce qui est propagande, contrôle des masses. Tu le vois même dans tes livres d’histoire au bahut. Quand ils ont commencé à me balancer des lyrics dans ce sens-là, pour moi c’était une évidence.

Joachim : L’essentiel, c’est d’essayer de verbaliser avec des mots justes. On n’est pas là à se branler la nouille à essayer de s’acheter un champ lexical de l’enfer parce qu’on veut être originaux. A un moment donné, si tu veux essayer de penser les choses et les mécanismes tels que la sociologie du pouvoir, les stratégies d’influence, t’as énormément de choses derrière : tout ce qui est guerre psychologique, des délires qui viennent des services de renseignement. T’as des cellules qui existent. Ca c’est important. C’est quelque-chose que j’ai touché plus ou moins de près dans mon parcours. Tu intègres des matrices de pensées comme ça, où la guerre économique est une guerre qui ne dit pas vraiment son nom, ça, ça m’intéresse foncièrement. On arrive à essayer d’injecter des choses dans Pyrecult, où on va avoir un positionnement particulier par rapport à ça, en se disant : « Putain, ceci existe, on n’est pas dans le fantasme ou je ne sais quoi ». D’apporter autre que juste dire ça c’est pas bien, l’État c’est mal, l’État-Providence, c’est pas cool… non on s’en fout.

Ilan : On parle d’une chose qui est globale, mais qu’on ressent au jour le jour. Ta vie est conditionnée complètement. Tout ce que tu vas penser, ta démarche, comment tu vas bosser, comment tu vas consommer. Ta vie, H-24, du lever au boulot, tes courses et tout, tout est concerné. C’est un sujet qui paraît intello comme ça, mais qui est en fait hyper viscéral. Voilà, tu t’en prends plein la gueule…

Joachim : Peu importe que tu aies les mots ou pas pour l’expliquer. Pour pointer du doigt certains mécanismes, j’ai eu une formation en journalisme audio-visuel, ce sont des choses très basiques. Tu peux avoir un engagement particulier, et quand tu dis à chaque fois : « les gens sont cons », pour avoir fait pas mal de micro-trottoir, c’est faux. Les gens savent très bien qu’ils se font baiser la gueule. Et quand bien même tu n’as pas les mots pour l’expliquer, le vocabulaire pour exprimer ce que tu ressens, une oppression sociale, sociétale, etc. Ca vient de là, les gens ne sont pas cons, et ils savent très bien qu’ils se font ken.

Ilan : Quand tu regardes le champ lexical de la plupart des groupes, ils parlent surtout de leur expérience personnelle. Cette espèce d’expérience personnelle ou leurs fantasmes, ça découle de cette situation géopolitique. Tout ce qui va être dépression, frustration, colère, envie de meurtre… même tous les délires gores… En fait ça découle de ça.

Joachim : Cette musique est un exutoire, de toute façon, et un biais pour en parler.

F.A. : Mais depuis l’aube de l’humanité, il y a eu ce truc de contrôler les masses, non ? La création des religions…

Cédric : Ca en fait partie.

Joachim : A l’époque t’avais les religions, maintenant t’as le carcan idéologique. Y a d’autres manières de faire la guerre psychologique et de mettre ce que l’on appelle des bombes intelligentes dans la tête des gens. Dégoter une stratégie d’influence, c’est hyper-compliqué. Attention, je ne te parle pas de communication ou de marketing. Non là on parle de stratégies d’influence qui peuvent être planifiées, ce sont des choses qui existent… Voilà on essaie de mettre ça en forme, et que ça colle avec le truc, et t’écoutes la musique, elle est agressive et nerveuse.

F.A. : Tu renvoies une violence que tu as ressenti ?

Joachim : Ouais, on est dans l’exutoire. On a vécu là-dedans, le metal hardcore. La danse, le message potentiellement engagé… On expulse, on est là pour ça.

Cédric : Le visuel aussi.

Joachim : On a aussi un délire esthétique bien entendu, mais on ne branle pas la nouille quand on compose. Ca vient naturellement.

Ilan : Le riff de base, il est viscéral. Après le son modelé, pour que ça ressemble à quelque-chose, ça arrive très loin derrière. Si tu composes un truc, et que ça n’accroche pas tout de suite, que le reste de ton groupe hésite, c’est que c’est pas bon. Le riff n’est peut-être pas mauvais, mais il échoue à véhiculer une émotion.

F.A. : Est-ce que vous avez des références en-dehors du métal ?

Ilan : Ah oui sans problème, des trucs goth, punk, indus… Même des trucs hip-hop. Je suis un gars du 19ème arrondissement de Paris hein, donc ça, t’y échappe pas. Vince Staples par exemple.

Cédric : Moi j’écoute pas mal de jazz et de soul. Mine de rien, dans l’esprit, j’ai rarement entendu des trucs plus noirs, plus torturés que Billy Holiday ou Nina Simone par exemple. Ca me fout une émotion intense dans la noirceur. Même si la musique qu’on fait n’a rien à voir, on est bien d’accord, les thématiques je les ressens de la même façon. Quand j’écoute ce genre d’artistes torturés, d’autant plus quand tu connais leur vie et leurs histoires, parce que c’est rarement des gens qui ont des vies très lisses. C’est ce que je retrouve vraiment dans la soul et le jazz.

Joachim : Moi c’est plutôt la dance des années 90, Masterboy, les Spice girls, Ace of Base (rires)… Non, moi j’écoute du hip-hop, beaucoup, des trucs à l’ancienne, type 90’ / 2000. Des trucs que j’écoutais quand on faisait du skate avec des potes à Rennes.

F.A. : Ah ben voilà, Rennes c’était la scène hardcore à l’époque…

Joachim : Totalement !

Cédric : Stormcore, c’est totalement culte pour nous !

Joachim : J’ai du faire mon premier concert à l’époque, en 98 un truc comme ça tu vois. C’est ton premier concert de hardcore, t’arrives là-dedans, clac. Tu prends une claque. Mais voilà derrière en dehors, j’écoute beaucoup de hip-hop à l’ancienne, et aussi pas mal de classique. Mais pas de la musique de chambre hein.

Cédric : Le côté théâtral, grandiloquent, ça nous parle à tous.

Joachim : Un putain de requiem de Mozart à l’église de la Madeleine, ça me fout des frissons de ouf. Mais c’est du ressenti pur et dur. 70 chœurs devant, même avec une petite formation musicale, c’est puissant. Après je dois écouter du tal-mé depuis la 6ème, j’ai commencé avec Slayer, Sepultura, et puis j’étais à Rennes, donc la scène hardcore bordel. C’était un milieu hyper-actif. La musique se consommait différemment à l’époque. Y avait pas internet mec. T’as une grille de lecture très différente. En plus, t’avais un délire ultra-communautaire parce que t’avais une espèce d’élitisme du coup. Les mecs que tu voyais en concert, ils se galéraient à aller chercher la musique, à chercher l’information.

Ilan : Tu sais quoi, la première fois où je me suis mis à écouter du hardcore, c’était des échanges de cassettes [Note : les 2 EP de Pyrecult sont d’ailleurs disponibles sur cassette].

Joachim : On est des jeunes vieux (rires). On se faisait des compils de l’Enfer.

F.A. : Sur le nom du groupe, Pyrecult, quelle était l’idée derrière ?

Cédric : Ce qui était sûr, c’est qu’on voulait un nom qui soit très facile à dire, en anglais. On a assez rapidement trouvé « Pyre ». Le bûcher ! Le bûcher funéraire quoi. En fait, en creusant un peu, parce qu’on a quand même du respect pour tous les groupes qui ont pu exister ou qui existent encore à l’heure actuelle, il y a un groupe qui s’appelle Pyre. Et donc, peut-être un peu par facilité, on a rajouté « cult ». Ca permettait toujours d’avoir un nom lisible et facile à dire, et le « culte du bûcher », ben c’était cool.

Ilan : Le culte du bûcher, de l’incendie, tu peux vachement broder dessus, c’est-à-dire que ça peut être des cultes païens, ça peut être l’incendie de Rome, donc la destruction de la civilisation moderne. Tu peux en faire énormément de choses. Ca peut être le culte de la destruction, ou du renouveau. Le feu c’est souvent associé au renouveau.

F.A. : La question classique du Bub ! Au niveau cinéma, quelles sont vos films cultes ?

Ilan : J’adore le cinéma Hongkongais, ça me parle, j’ai découvert quand j’étais ado par pur hasard. Les trucs un peu barrés du cinéma Japonais aussi. Comme pour la musique, je ne me suis jamais senti obligé de connaître les classiques. Dès qu’on essaie de me forcer d’écouter ou de voir un truc, ça ne marche pas. Dans le cinéma Hongkongais, tu partais d’une situation de merde, comme moi dans le 19ème, dans une cité, c’était régulièrement la merde. Je me faisais tabasser en bas de chez moi, je me suis battu des tas de fois. Des fois tu sauves un de tes potes qui se fait embrouiller par cent mecs. Toute une cité qui débarque pour lui péter la gueule, devant ton bahut, un lieu officiel et tout. Donc tu vis dans la merde, t’entends les coups de feu le soir. Du coup ce que j’aimais bien dans ces trucs où la violence était omniprésente, c’est que t’avais des valeurs hyper-positives dedans, un côté très humain. Une sorte de « bromance », les gars sont tous dans la merde, ils ne sont pas dans le même camp mais ils essaient de s’en sortir sans que ce soit réellement possible, mais ils font de leur mieux. Si je fais de la musique, c’est beaucoup dû à l’ambiance dans laquelle je vivais, mon éducation qui était complètement en décalage avec le reste de l’endroit où j’étais.

Joachim : Fin des années 90, t’allais dans les concerts de hardcore, t’avais un truc ouvertement violent, pas agressif, mais hyper-bienveillant. Y avait un délire d’entre-soi, mais vraiment de la bienveillance, parce que appartenance à un certain milieu. Aujourd’hui, comme on le disait, la manière de consommer la musique a changé, et donc t’as une population très variée, avec des codes très différents, qui vont se mélanger et des fois, ça cohabite mal. A l’époque dans les concerts de metal, les coreux c’était une plaie. Post FuryFest, Hellfest, les mélanges de culture se font mieux parce que les mecs comprennent les codes, du moins se tolèrent, ce qui n’était absolument pas possible à l’époque car c’était très cloisonné.

Cédric : Moi, je suis très branché Danny Boyle pour le côté organisation sociale dans un cadre complexe. Ca ça me branche à mort. Je suis aussi très fan de films de zombies, Romero mais c’est une évidence de le citer.

Joachim : La critique sociale de l’Enfer

Cédric : Et Danny Boyle est très bon là-dessus, avec son 28 jours plus tard… Le mythe du zombie, mais il a aussi fait plein d’autres trucs où il met des gens, dans un situation extrême, sociale, et il les force à s’organiser entre-eux, et ça, ça me passionne. L’organisation, c’est ce que tu dois faire de la société potentielle qui peut exister après. C’est banal de dire ça, mais j’aime aussi les frères Coen, on y retrouve aussi ce truc-là. J’aime bien les petites gens, dépeindre le portrait de personnes qui essaient de s’en sortir, tant bien que mal, en faisant des petites arnaques.

Joachim : A Rennes, j’étais en littéraire et j’avais une spécialité en audio-visuel. J’ai fait ça parce que le théâtre ça me faisait chier d’apprendre mes textes. J’avais un côté feignasse. Mais j’ai découvert pas mal de trucs et j’ai eu un kif sur le cinéma de Renoir. Boudu sauvé des eaux, l’original hein, pas la version avec Depardieu qui fait prout-prout, mais ce film m’a vraiment marqué de ouf. Bon t’avais aussi la Bête humaine bien sûr. Après je mate énormément de merdes… Le côté décérébré, de fois ça me convient.

François Armand

Pyrecult  / Obedience (France | 10 juillet 2017)

 

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