LE CHOC DU FUTUR
marc collin

DeterreC’est la fin des années 70, le rock règne en maître. Dans son sillage, quelques déclinaisons pop (le disco, le yéyé…) squattent les ondes. La sacro-sainte guitare demeure au centre de tout – comme une allégorie phallique d’un milieu essentiellement masculin – reléguant les claviers, alors émergents, au rang de faire-valoir. C’est dans ce contexte qu’Ana (Alma Jodorowski) se retrouve seule à triturer ses machines dans son appartement. La voilà, à l’aube d’une révolution majeure, en passe de remplacer tous les musiciens par ses bidouillages électroniques et de proposer un son en rupture totale avec tout ce qui se produisait et composait jusqu’à présent. Le postulat du Choc du futur c’est l’observation à la loupe d’un espace de création, le microcosme d’un milieu constitué de personnages haut-en-couleurs, des injonctions contradictoires et les doutes constants quant à une démarche artistique courageuse.

La caméra du réalisateur Marc Collin ne quitte qu’à de rares instants l’espace confiné de cet appartement, dans lequel les machines trônent tel un autel dans un lieu de culte. Car il y a une sorte de dévotion, comme une mystique propre, autour de ces austères boites. Collin, par la façon dont il approche sa caméra et dont il l’éclaire, parvient à transformer ce bric-à-brac en un personnage fantastique à part entière. D’ailleurs c’est bien la recherche du sacré, la connexion avec une certaine vérité à travers la vibration, qui constitue la profession de foi d’Ana. Dispositif électronique, ou outil technique pour certains, sorte de machine du diable incompréhensible pour d’autres, tout l’enjeu reste de faire émerger l’émotion de cet amas de boutons, de potentiomètres et de câbles divers. Entre le sentiment que le vent de la nouveauté se lève inévitablement d’un côté et exigences sur l’état du marché des ventes (pour une musique inconnue donc dont on sait pas si elle sera rentable ou non), de l’autre, on voit osciller Ana entre de profondes angoisses (lorsqu’un composant de la machine tombe en panne), une grande exaltation (l’arrivée de la boite à rythmes par exemple) et la farouche obstination pour ne pas trahir son projet artistique (quand on lui assène la nécessité d’avoir un chant en français, peut-être au détriment de la musicalité) et résister aux sollicitations extérieures.

Au final, Le Choc du futur dresse un portrait – rare au cinéma – d’une artiste, pour une fois libérée de l’éternel traitement scénaristique permettant la résolution des problèmes de créativité par la résolution de conflits d’ordre privé (amour, relation aux parents…). Rien de tout cela ici, il ne s’agit que d’une tranche de vie, une journée dans la vie d’une créatrice esseulée dans un monde d’hommes et d’un marché déjà formaté.

François Armand

1h 24min | 19 juin 2019 | France

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