SYBIL
Justine Triet

DeterreComment en vouloir à Justine Triet d’avoir abandonné la comédie bordélique pour embrasser le drame pur et dur ? Comment lui en vouloir d’avoir à nouveau fait appel à ce qui est sans doute l’actrice française la plus puissante du moment, Virginie Efira ? Impossible : la rupture dans la continuité était une belle idée. Cruellement, c’est pourtant cette idée là qui se révèlera comme étant la plus grande limite de Sybil. Sans doute parce que ces deux héroïnes, jumelles malgré elles, sont trop proches dans leurs parcours de vie pour que l’on ne pense pas, sans cesse, à les comparer.

Et à ce jeu-là Victoria sort grande gagnante. Car on ne peut que constater l’échec de Sybil à nous embarquer dans la spirale descendante que subit son héroïne paumée. Dialogues parfois trop écrits (alors que Victoria et La Bataille de Solférino brillaient par leur spontanéité), situations un peu téléphonées (la scène de nuit sur la plage, artificielle), montage coup de poing pour flashbacks confus… Résultat, le spectateur est aussi perdu que Sybil, et assiste, un peu embarrassé, à deux psychanalyses (celle de Sybil et de sa patiente) aux problématiques pour le moins conventionnelles (atavisme familial, tromperies, crise de la quarantaine, rupture amoureuse).

Virginie Efira a beau sortir, une nouvelle fois, le grand jeu, son personnage peine à nous émouvoir parce que les situations qu’il vit semblent forcées, d’une part, et que l’on est sans cesse dans cette réminiscence de Victoria d’autre part ; elle dont les montagnes russes émotionnelles étaient autrement plus trépidantes, et donc contagieuses. Et puis, si Efira est de tous les plans, c’est aussi, malheureusement, au détriment du couple Adèle Exarchopoulos/Gaspard Ulliel, qui peine à convaincre, autant dans la fiction inventée par Triet que dans la réalité de leur jeu d’acteur, très fermé et, semble-t-il, limité, loin de l’incandescence d’Efira. On est loin de l’espièglerie d’un Vincent Lacoste, de la folie douce de Vincent Macaigne, soit sans doute mieux servis par des rôles plus vivants, mais aussi véritables incarnations d’un cinéma que Justine Triet s’est fait sien, entre frénésie drôlatique et désenchantement solaire.

Le plus étonnant est qu’on sent dans de nombreuses scènes poindre un potentiel comique que Triet n’aurait pas hésité à faire exploser dans La Bataille de Solférino ou Victoria, et qui reste ici volontairement larvé. Cette aspiration soudaine au mélo semble presque relever du contre nature, comme si la réalisatrice s’était fait violence pour ne pas se répéter. La prise de risque est belle, mais le résultat nous fait regretter qu’elle n’ait pas plutôt décidé d’entériner sa réputation naissante d’entertainer libre et cérébrale.

François Corda

1h 40min | 24 mai 2019 | France

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