BABYBIRD
interview

RevueOn ne le répètera jamais assez, Babybird vaut beaucoup plus que son « You’re gorgeous » martelé sur les ondes au milieu des années 90. Alors que Babybird a officiellement disparu des radars des maisons de disques depuis The Pleasures of Self-Destruction (2011), Stephen Jones (le cerveau et les mains de Babybird depuis presque un quart de siècle) continue, inlassablement, de publier des perles d’albums uniquement distribuées sur Bandcamp, à un rythme effréné. Peu de temps avant son concert parisien fin septembre (il n’avait pas mis les pieds dans la capitale depuis vingt ans), ce prince déchu de la pop a accepté de répondre à nos questions d’inconditionnel admirateur.

François Corda : A quoi ressemble votre vie depuis The pleasures of self-destruction ?

Stephen Jones : En fait j’ai eu un infarctus il y a un an, donc pas si agréable (« pleasurable » dans le texte) que ça… Mais depuis j’ai retrouvé la forme, et j’essaye de boire moins. Cependant une petite auto-destruction (« self destruction » dans le texte) à Paris serait chouette.

FC : Durant toutes ces années, cela ne vous a pas manqué de ne pas jouer en groupe ? Ou peut-être regrettez vous d’autres aspects du temps où vous étiez signé ?

SJ : Babybird n’a jamais été un groupe qui tourne énormément. Deux semaines est sans doute le maximum que nous ayons fait pour une tournée. D’abord parce que ma voix ne tiendrait pas plus longtemps, ensuite parce que je n’ai jamais voulu être loin de ma famille trop longtemps. On a recommencé les concerts en décembre 2017, peu de temps après mon infarctus, je ne suis pas tombé raide mort et j’ai aimé ça. Je ne suis pas bon pour planifier ma carrière mais il y a toujours eu quelque chose qui m’a poussé vers l’avant, comme, par exemple, Johnny Depp qui joue de la guitare sur The Pleasures of Self-Destruction et qui m’a réalisé la vidéo de « Unloveable »… Cette incertitude permanente est une drôle de façon de mener sa vie, mais cela a occasionnellement ses avantages !

FC : Vous avez fait quelques concerts en fin d’année dernière et vous en refaites quelques uns cet automne. Pouvez-vous expliquer pourquoi, cinq ans après votre dernier concert, vous avez décidé de retourner sur scène ? Qui sont les musiciens qui vous accompagnent ?

SJ : C’est un autre exemple de ces hasards, sortis de nulle part, et qui m’ont fait rebondir : Tim Bailey est un organisateur de concerts et un grand fan de Babybird ; et il s’est simplement dit que ça me donnerait peut-être du courage, suite à mon infarctus, de remonter sur scène. Il m’a demandé et il s’est avéré que je lui ai répondu : « Bordel, c’est parti ! ». Quant aux musiciens, deux d’entre eux sont des membres de Babybird depuis plus de vingt ans (Luke Scott à la guitare, Rob Gregory à la batterie). Danny Lowe, le bassiste a été dans le groupe une dizaine d’années et a enregistré avec moi les chansons des albums King of Nothing (disponible sur sa page Bandcamp, il y a trois albums King of Nothing à ce jour et Stephen Jones a enregistré plus de cent disques ces cinq dernières années !).

FC : Maintenant que vous êtes sur Bandcamp exclusivement, que signifie cette indépendance totale pour vous, en tant qu’artiste et citoyen ?

SJ : Je ne pense pas que l’indépendance totale existe. Même dans l’utérus, quand on flotte dans le liquide et l’obscurité, on est évidemment dépendant de quelqu’un. Dans l’espace, sans cordes, on prend le risque de se prendre une météore. Peut-être que la mort est la seule forme d’indépendance totale, mais on ne le saura jamais. En ce qui concerne Bandcamp, c’est peut-être aussi indépendant de la grosse machine de l’industrie musicale que possible, une sorte de version digitale de l’esprit punk, mais même dans ce cas, tu dois reverser une partie de ce que tu gagnes. Rien n’est gratuit, mais en l’occurrence ce système là me va bien.

FC : Comment se déroulent vos journées et vos semaines, sachant que vous n’avez plus de compte à rendre à personne désormais ?

SJ : J’ai l’impression qu’il y a un mythe me concernant, comme quoi je passerais mon temps à écrire de la musique, que je serais en permanence dans mon studio. Mais en fait je suis plutôt paresseux. Par contre j’ai des décharges d’énergie et je peux enregistrer des chansons ou de la musique très rapidement. Je ne suis pas très bon dans beaucoup de domaines comme la vie de tous les jours ou gagner ma vie, mais la chose que j’ai apprise et dans laquelle je suis bon, c’est faire et écrire de la musique. Les paroles c’est la partie la plus compliquée, mais même ça ça vient de façon plutôt fluide. Bref, du coup on pourrait dire que je me déplace entre deux mondes, celui de la musique et de la famille, tel un fantôme bruyant (« noisy ghost » dans le texte).

FC : Quel est votre instrument favori pour écrire des mélodies ?

SJ : Depuis un moment maintenant c’est le piano parce que c’est plus rapide : on s’assoit, on joue. Je n’ai pas utilisé de guitare récemment, soit parce que tous mes jacks sont morts soit parce que mes cordes sont cassées. C’est dire comme je suis paresseux. Mon mode d’enregistrement est aussi simple que ça ! Je n’ai pas un cerveau technique, mais je négocie avec ça. Il faut que ce soit simple et rapide comme du riz en sachet cuisson !

FC : Comment avez-vous pris la décision de quitter l’industrie musicale ? Est-ce une décision irrévocable ?

SJ : En fait j’ai toujours un éditeur BMG, donc je ne suis pas encore définitivement à la dérive dans l’espace… Après pour être honnête, personne n’a jamais vraiment voulu de Babybird. « Ils ont fait ce gros tube, ils sont des années 90 etc. », toutes ces excuses pourries… Mais heureusement Bandcamp montre qu’il y a bien plus que ça, en particulier avec l’album KONpilation : j’espère que ça pourrait faire revenir une maison de disques un jour. « De belles chansons », si j’en crois mes amis, ah ah.

FC : Vous semblez particulièrement enthousiaste au sujet de King of Nothing

SJ : En fait KONpilation a déjà à peu près quatre ans, et c’est possiblement ce que j’ai fait de mieux, et de plus proche de Babybird (Stephen Jones écrit sous plusieurs pseudos, cf. question suivante, NDT). Mais ça n’a jamais été enregistré correctement et ça n’est jamais sorti sur un label. Bandcamp reste quelque chose d’assez petit (pas de producteur, de radio ou de médias qui l’entourent) et ce disque a besoin d’aller au-delà d’une petite communauté de fans.

FC : Comment décririez-vous vos autres projets (Black Reindeer, Arthritis Kid etc.) ?

SJ : Tous ces projets sont différents mais se chevauchent. Black Reindeer ce sont des samples, des bandes sonores façon musique de film, des voix (All is good est un bon moyen de rentrer dans cet univers). Les albums d’Arthritis Kid sont plutôt de longues pièces musicales, basées sur une seule note, qui change subtilement. De la musique à écouter dans une pièce sombre, dans un état second. Ce sont des morceaux de dix minutes ou plus. J’aime Mogwai, Godspeed You Black Emperor, Explosions in the Sky etc., donc la transe épique est unegrande influence. Trucker est album sous vocoder qui parler de… camionneurs (truckers dans le texte). Gold Rabbit est un grand favori, et a été la bande son du Dom Joly Podcast « Earworm ».

FC : Est-ce qu’on peut espérer un retour en studio avec un groupe pour l’enregistrement d’un nouvel album ?

SJ : Les chansons de King of Nothing s’y prêteraient bien… On verra bien !

François Corda

 

bub

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