ROULEZ JEUNESSE
Julien Guetta

Au-delà d’un film qui restera anecdotique, bien que bourré de bonnes intentions vis-à-vis d’un propos sur la responsabilité et le passage à l’âge adulte, c’est un constat plus global sur un cinéma embourgeoisé (avec son économie propre et ses inévitables exigences investissement/rentabilité) qui se dessine, sacrifiant une partie du langage cinématographique,  comme une langue dont on n’utiliserait plus qu’une fraction strictement utile. La peau de chagrin ne cesse de se réduire autour d’une succession de champs / contre-champs calibrés dont la fonction n’est que d’illustrer une action, laquelle serait simplement et strictement liée à l’intrigue.

Roulez jeunesse, indépendamment de l’histoire racontée, ne donnera donc à voir quasiment aucun moment de cinéma (seule exception : le traveling sous le pont, au milieu des graffitis, qui accompagne la prise de conscience majeure d’Alex, le protagoniste), soit un tant soit peu d’images, symboliques ou composées, ou de plans, évocateurs, capables de jouer leur rôle dans la signifiance du film.

Cette réalisation insipide laisse donc le champ libre à l’interprète principal Eric Judor pour donner le tempo à l’ensemble (à noter qu’il s’agit là d’un procédé plutôt fréquent dans les comédies françaises, à l’exception peut-être des Dupontel et autres Hazanavicius, que de se reposer paresseusement sur les épaules d’une ou deux têtes d’affiche pour faire le boulot). Donc dans la première partie, certes amusante, Eric Judor évolue dans un registre dans lequel on le connaît bien : celui de la comédie. Son jeu, suffisamment subtil, permet à l’acteur d’aborder son personnage de manière réaliste, et non pas potache. Il parvient, sans trop en faire, à se détacher d’Eric, l’humoriste. Lorsqu’il fait basculer le film avec des séquences plus dramatiques, il le fait dans un entre-deux un peu plus forcé, qui fonctionne toutefois par intermittence.

Au regard de la qualité indéniable de ses interprètes, de ses ambitions (même modestes) et de son propos, il est regrettable de ne pouvoir proposer qu’une fiction de télévision améliorée plutôt qu’un film de cinéma. Certes, il s’agit d’un premier film, mais c’est surtout celui d’un scénariste qui met en images son histoire. Finalement, voici un long-métrage qui, comme Alex, refuse de prendre parti, et, n’impose aucun style. On aurait aimé que Julien Guetta suive les conseils de Nelly, le personnage d’assistante sociale, lorsqu’elle dit à Alex : « prendre des coups ce n’est pas grave. Après, on se relève. » Car en évitant soigneusement toute prise de risque formelle, le réalisateur Français se condamne à rester coincé dans un entre-deux ; un adolescent qui attendrait un déclic pour grandir, lui aussi.

François Armand

| 25 Juillet 2018| France


 

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