DAY OF THE DEAD
george romero

DeterreDans la horde de films de zombie qui submerge les écrans depuis une dizaine d’années, difficile de s’y retrouver tant le spectre s’étend de la fiction, bien souvent bas de gamme, destinée aux plateformes de streaming, aux films à grand spectacle (World War Z en 2013 par exemple). Qu’est-ce qui a donc tant changé pour que, de monstre d’une poignée de péloches confidentielles et parfois engagées, le zombie devienne un pur produit commercial de la pop culture ? En brandissant un folklore et un ensemble de codes, on ne cesse aujourd’hui de se référer aux classiques (ou d’en faire des remakes) sans, généralement, parvenir à s’extraire du divertissement consensuel. Qu’a-t-il donc perdu depuis ?

Parmi les films qui ont marqué ce sous-genre horrifique dédié aux morts qui marchent, Day of the Dead (1985) semble contenir, à la fois dans son propos et sa forme, les éléments qui ont permis aux zombies de s’imposer comme figure incontournable du cinéma contemporain. Après avoir inscrit le mythe dans sa modernité avec The Night of the Living Dead en 1968, puis Zombie (ou Dawn of the Dead) en 1978, Georges Romero connaît un certain succès. Ces deux films allient férocement critique sociale et horreur, une association qui prend de court producteurs, distributeurs et critiques. Malgré cela, le public ne s’y trompe pas et le genre se développe peu à peu. Le réalisateur cherche alors une certaine reconnaissance critique, à travers d’autres films non apparentés à de l’horreur ou du fantastique. Sortent des films comme Martin (1977) ou Knightrider (1981), qui resteront largement (et injustement !) méconnus. Incapable, malgré ses efforts, de s’extraire de l’ornière dans laquelle il s’est lui-même enfoncé, Romero reçoit la proposition de faire un troisième volet de son cycle des mort-vivants. Refusant tout compromis avec ses producteurs et fidèle à la ligne de conduite qu’il a toujours farouchement défendue, le réalisateur ampute son scénario original afin de travailler avec un budget plus réduit mais avec l’assurance d’avoir les mains libres. Alors qu’il aborde le tournage de Day of the Dead, on peut imaginer l’homme en colère et frustré. Le résultat sera à la mesure de ces émotions.

Dans sa forme, le film laisse une large place à des scènes de boucherie, oscillant toujours entre l’absurde et le dégoût. D’ailleurs en revoyant le film de nos jours, quelques évolutions majeures de la représentation du zombie au cinéma peuvent être notées. L’aspect du monstre a changé avec l’évolution des techniques de maquillage et les apports du CGI. A présent, les mort-vivants ont un aspect prétendument réaliste, avec une grande palette d’atrocités physiques allant des joues nécrosées transpercées de part en part, aux mâchoires dénudées en passant par des crânes béants. Ceux d’alors étaient plus grossiers, généralement d’une couleur bleue pâle étrange. S’ajoutaient les effets sanglants à la teinte si caractéristique du maquilleur (et occasionnellement acteur !) Tom Savini, qui produisaient un spectacle à la fois tout à fait repoussant et fascinant. Les chairs étaient alors plus flasques, plus élastiques, les zombies plus lents et plus laids. Chez Romero, l’idée n’était pas de susciter la peur, mais d’étudier la réaction des personnages, leur répulsion, et donc celle du spectateur. Dans Day of the Dead, les déferlements sanglants propres à donner la nausée laissent parfaitement insensible le Docteur Logan obsédé par sa recherche : le scientifique devient par la même occasion un monstre aux yeux du public, au même titre que les zombies qu’il charcute. Tandis que cette tendance contemporaine d’esthétisation de l’horreur n’étaye aucun discours, elle se contente d’exposer des bêtes de foire. Les chocs visuels d’antan ne cédaient pas à la gratuité, ils contribuaient à porter un propos, et invitaient d’avantage le spectateur à s’impliquer dans ce qu’il voyait.

Finalement, le sujet n’était évidemment pas le zombie en lui-même, mais les protagonistes ou les décors, prétextes l’air de rien à des critiques sociales qui ont fait date. Pour preuve l’inoubliable centre commercial de the Dawn of the Dead, le deuxième volet. Sous couvert de série B, Romero explosait le rêve américain dans un spectacle grand-guignolesque et jubilatoire. Dans Day of the Dead, les personnages sont enfermés dans un bunker, enfermant le spectateur dans un faux sentiment de sécurité.

Et pour la première fois, Romero va s’intéresser en particulier à un zombie : le personnage de Bub. Sujet privilégié des expériences du Docteur Logan, le malheureux parvient plus ou moins à avoir des réactions « humaines ». Véritable obsession pour les scientifiques qui s’évertuent tant bien que mal à le dresser, Bub est dépourvu de but et surtout de morale. Voire même, il en serait presque touchant dans ses tentatives pour communiquer. Ce personnage permet au cinéaste d’explorer le rapport entre les scientifiques démiurges, aveuglés par leur recherche, et la stupidité des militaires. Romero réglait alors joyeusement ses comptes, à l’arme lourde, en plein contexte de guerre froide, avec les uns et les autres. Les sentiments ambigus ressentis face à un Bub tourmenté par les humains, variant entre grotesque, malaise et comique, constituent en soit toute une réflexion sur les liens entre science et empathie. L’anthropomorphisme de Bub est en décalage avec son traitement, qui est celui d’un animal de laboratoire. Par son aspect indéfinissable entre animal et humain, il fascine et sidère.

Pour mesurer à quel point Romero pouvait être visionnaire, on peut constater qu’actuellement, le traitement des cobayes est de moins en moins bien admis par le grand public pour les animaux et le sujet de la souffrance animale dans les expérimentations scientifiques fait plus que jamais débat. Un autre élément primordial du film de zombie chez Romero serait donc le sous-texte et, au-delà d’un propos politisé (ou pas), sa résonance avec notre monde. Dans Day of the Dead, il fustige la fièvre militaro-scientifique qui affectait son pays dans un contexte de paranoïa, entre aveuglement chez les uns et absence de conscience chez les autres.

Le film de zombie est aujourd’hui à l’image des mort-vivants qu’il dépeint, à la fois mort (par le manque de sens de son propos) et vivant (par son intérêt économique). Après être passé à la moulinette de l’industrie (et carrément éreinté par la série interminable Walking Dead), il se borne à présent à donner une bouillie de réflexion prémâchée, en général des poncifs sur les choix moraux des protagonistes (quelques exemples : la confrontation des protagonistes à leurs proches, une fois morts puis revenus, ou la transmission de valeurs à la génération suivante dans le chaos, ou encore la gestion d’un personnage mordu …). Day of the Dead portait tous les atours du film d’horreur, mais en déplaçant l’empathie non plus sur les humains, mais sur les zombies, il en disait long sur l’Amérique de Reagan, la horde de zombies contrôlée par les militaires pouvant s’apparenter à un peuple perdu, errant sans autre but que dévorer (consommer ?). Dans sa conception, son créateur a préféré rogner sur la forme (et donc le budget) plutôt que de trahir l’intransigeance d’un discours.

Il semble qu’à l’inverse, actuellement, l’obsession du réalisme du mort-vivant ait pris le dessus sur son potentiel déviant. Les productions du moment permettent de réaffirmer le rêve américain en se recentrant sur l’humanisme de protagonistes, ainsi que la morale et le puritanisme. Pour exemple le dernier remake en date de Day of the Dead, estampillé Netflix, qui voit le personnage de Bub comme harceleur et violeur, le scientifique devient une femme victime, revancharde et garante des valeurs morales, et les militaires des protecteurs. Pour la contre-culture, on repassera.

François Armand

1h 40min | 30 juin 1985 | Etats-Unis

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