READY PLAYER ONE
Steven Spielberg

Moment magique où la cassette était glissée dans la console, quand le chargement du programme s’initiait à partir de plusieurs disquettes trois pouces et demi… Cet instant procurait un plaisir délicieux. Au seuil d’un royaume inconnu, les possibilités semblaient infinies pour le joueur. Lorsque la partie démarrait enfin, la réalité s’effaçait au profit de pixels grossiers et d’une bande-son en huit bits. Ce temps-là était celui d’une industrie encore balbutiante, artisanale et pleine de fantaisie. Quelques décennies plus tard, les jeux vidéo sont devenus un enjeu économique majeur. Le nombre de joueurs ne cesse d’augmenter et les productions des grandes franchises n’ont rien à envier aux blockbusters hollywoodiens.

Que ce soit au niveau de la dramaturgie ou de l’esthétique, le jeu vidéo emprunte de plus en plus au cinéma. Certains titres se sont adjoint les services d’acteurs renommés (Willem Dafoe et Ellen Page dans Beyond : two souls par exemple) dans un souci de réalisme. A l’inverse, on ne compte plus les films directement tirés de succès de jeux vidéo. Le budget d’un immense succès tel que Grand Theft Auto V s’élève à 137 millions de dollars, ce qui équivaut à celui d’un film de studio (à titre de comparaison Ready Player One a un budget estimé à 175 millions de dollars). Dans un même temps, le sport électronique est devenu un terrain de compétitions digne de (réels) sports populaires et les équipes se professionnalisent.

Ready Player One : en 2045, le monde est si invivable que l’ensemble de la population s’oublie dans le jeu vidéo OASIS, un véritable univers aux multiples facettes. L’expérience est complète, le joueur étant équipé d’un casque de réalité virtuel et de différents capteurs qui permettent de retranscrire mouvements et émotions. Dans l’OASIS, chacun peut se réinventer, s’incarner comme il l’entend, et surtout, se divertir. Ainsi, le divertissement a atteint toutes les sphères de la société et a remplacé le travail dans la vie réelle (celui-ci peut s’accomplir dans OASIS). Contrôler l’éditeur qui produit le jeu revient à diriger un véritable état.

Le créateur du jeu OASIS, James Halliday, y a justement caché trois clés à l’intérieur avant de mourir. Celui qui saura les trouver gagnera l’Œuf de Pâques – clin d’œil aux bonus cachés que les concepteurs de jeux aiment à disséminer dans leurs productions – qui donnera automatiquement accès à la direction de son entreprise.

Le film voit s’affronter deux archétypes pour le contrôle du jeu : d’un côté un héros de conte de fée (orphelin, élevé par sa tante et un beau-père violent, vivant dans un quartier pauvre) et de l’autre une sorte de roi dans son château, à la tête d’une grande entreprise, qui voit là l’opportunité d’étendre son empire. Le héros, Wade dans le monde réel, devient Parzival dans OASIS. Ainsi il emprunte le nom du mythique chevalier au cœur pur, naïf et idéaliste, celui qui découvrira le fameux Graal. La pureté de l’idéal chevaleresque est ici le plaisir du jeu sans autre but que jouer, une sorte de retour à l’innocence : celle de l’enfant qui s’absorbe devant sa console. Face à lui se dresse Sorrento, sorte de triste sire à la tête d’une grande armée, qui représente la puissance aveugle de l’industrie. Ses sbires sont légions et en uniformes. Pour lui, le jeu ne représente qu’un intérêt économique, un espace supplémentaire de publicité. Utiliser OASIS comme un puissant support commercial est la motivation principale de ce chef très semblable à ses objectifs : sans envergure, et assez banal finalement.

Le spectateur se retrouve lancé dans une quête au pays de la pop culture, bondissant de références en références ; tellement qu’il faudrait pouvoir faire un arrêt sur image pour toutes les analyser. Les codes empruntés aux mythologies Européennes (le cycle Arthurien, nous l’avons vu avec Parzival, la mythologie Grecque avec le personnage d’Art3mis) jalonnent le récit, comme souvent dans le cinéma Hollywoodien, lui conférant une dimension épique. Surtout, ces mythes sont tellement ancrés en chacun de nous que les trajectoires des héros nous semblent très (trop) familières. Évoqué dans Ready Player One (mais jamais montré directement), La Guerre des Etoiles, sorti en 1977, est un parfait exemple de cette réappropriation, à tel point qu’un des mythes les plus populaires, aujourd’hui, c’est précisément Star Wars. Mais on peut douter que Ready Player One connaisse le même sort, tant ici le recyclage est exhibé et non suggéré.

Le monde d’OASIS abrite donc le panthéon de Dieux, Déesses et Héros que l’Amérique se serait créé. Car en ignorant délibérément la culture ancestrale des peuples natifs Américains, comprenant la mythologie Amérindienne et ses esprits animistes, les Etats-Unis se trouvent alors dépourvus de théogonie propre. Hollywood va permettre d’en créer une en ne cessant de s’inventer des légendes, recomposant à partir d’un héritage issu de la vieille Europe. Ready Player One a en cela des points communs avec les films de super-héros (les personnages sont cachés derrière un avatar, ils peuvent développer des pouvoirs …). En 2045, la culture globalisée est quasi exclusivement celle d’une Amérique (quelques références à la culture manga ont survécu !) qui a tout absorbé. Une partie du pouvoir de séduction du long-métrage repose d’ailleurs sur le fait que les spectateurs du monde entier ont assimilé ces nouveaux mythes. Chacun reconnaîtra au moins le monstre de fer, King Kong ou les deux sœurs jumelles de Shining, ce qui fait de l’univers montré à l’écran un endroit familier pour le spectateur. Mais c’est aussi le triste constat d’un monde dans lequel la pop culture aura tout assimilé. La mémoire des mythes ancestraux, qui sont nécessaires à l’Homme depuis l’Antiquité, serait stockée sous une forme atrophiée dans un jeu vidéo.

Le film prend une autre tournure lorsqu’on plonge dans les failles et les blessures de James Halliday, en devenant presque psychanalytique. Les héros se trouvent à la recherche des éléments moteurs de la vie du créateur (son travail, ses jeux, son amour manqué …). Ceux-ci dénotent d’un détachement, une aspiration profonde à l’inutile, à l’encontre des injonctions sur la rentabilité ou de la nécessité d’aller toujours de l’avant. Ainsi les énigmes doivent rester inviolées pour les personnages ne répondant pas à l’idéal chevaleresque. Là réside la grande hypocrisie du film : faire croire que cet idéal existe alors même que Ready Player One demeure un film de divertissement très convenu. Laisser penser qu’il existerait un monde du jeu vidéo construit uniquement par des créateurs, rêveurs et passionnés, sans aucun lien avec le moindre contrôleur de gestion, revient à propager une idée insidieuse. Celle que des chevaliers au grand cœur se battraient encore au sein d’Hollywood pour préserver une vraie sincérité, de réelles démarches créatives. A l’heure où les franchises saturent le marché, le doute sur l’existence de tels personnages est permis.

Et comment, à ce titre, ne pas penser à Steven Spielberg en découvrant le personnage de James Halliday ? Le réalisateur dit avoir gommé les références à sa propre œuvre du roman original de Ernest Cline par souci d’humilité, mais difficile de ne pas voir le regard plein d’empathie qui est porté sur ce personnage d’auteur de jeux vidéo. Ainsi, Spielberg serait une sorte de gardien du temple d’un âge d’or révolu qu’il a contribué à créer. En faisant d’ Halliday une sorte de saint, il s’adoube lui-même et est tenté de se créer un personnage. Peut-être est-ce une projection, simplement déformée par un ego forcément important ?

En tout cas, les deux camps qui s’affrontent dans OASIS sont finalement assez similaires dans la finalité. Qu’il s’agisse de Sorrento, le seigneur du château, ou du preux héros accompagné de ses fidèles chevaliers, celui qui régnera dirigera bel et bien une entreprise commerciale, protégée par une horde d’avocats, dont l’objectif est de faire de l’argent.

Ainsi, Ready Player One serait une célébration, une sorte de victoire prétentieuse de l’hégémonie culturelle Américaine, autant qu’une synthèse des mythes ancestraux. Mais il y a aussi l’idée d’une fatalité, celle que le secteur du divertissement, aujourd’hui fondamentalement industriel dans sa conception et son exploitation, ne saurait être remis en question dans ses principes. La logique restera celle de la rentabilité et il n’est absolument pas imaginable de changer de modèle. Envisager de renoncer au gain des actions, à la direction de l’entreprise, libérer le code, permettre aux joueurs de s’en emparer et de contribuer : on tient là des pistes qui auraient semblé plus audacieuses, et peut-être plus fidèles aux principes originels d’internet. Probablement trop utopique pour un produit comme Ready Player One, qui narre bien une révolution collective, motivée par un chevalier naïf, pur… mais parfaitement lisse, et qui n’aboutira sur rien.

François Armand

| 28 mars 2018| Etats-Unis

 

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