Avec l’avènement de Trump l’an passé, c’était inévitable : en tant que mauvaise conscience assumée de l’american way of life, Al Jourgensen, boogie man idéal, soixante ans cette année, se devait de revenir combattre sur le front du rock contestataire le plus violent ; et ce malgré son annonce de mise en bière définitive de Ministry fin 2012 (From beer to eternity), suite au décès de son ami et guitariste Mike Scaccia.
Ce n’est donc pas une surprise, contexte favorable à la révolte oblige, AmeriKKKant est ce que Ministry a sorti de mieux depuis… l’ère Bush Junior et sa triplette d’albums guerillas. Adepte de blues (au hasard, le riff d’ « Antifa » et le solo d’ « AmeriKKKa » sont là pour le prouver), mais perverti depuis plus de trente ans aux distorsions massives et autres ambiances déshumanisées délétères, Jourgensen nous assène ici neuf coups de massues dont les riffs répétés inlassablement sont comme autant d’uppercuts dans la face ravagée du quarante cinquième président des Etats-Unis. Un harmonica brûlant comme l’enfer, un scratching ultra affûté ; un violoncelle vénéneux, des cuivres en formes de trompettes de Jericho (« Game Over ») : il n’en fallait pas moins pour faire oublier les soli de guitare parfois un peu fatigants des deux derniers opus.
Le chant guttural de Jourgensen se fait ici aussi extrêmement économe, et va dans le sens d’un affront essentiellement physique, d’une danse macabre mécanique et cathartique qui combat la haine par une colère froide et le désenchantement d’une musique qui joue tout sur l’énergie et l’efficacité de son écriture. De fait, l’accueil plutôt glacial à l’égard d’AmeriKKKant est pour le moins sidérant tant la musique de Ministry reste, encore aujourd’hui, le creuset idéal de tous les dégoûts suscités par cette société en putréfaction lente que Jourgensen ne se lasse pas de dénoncer depuis les années 80, symbolique du début de règne du capitalisme sur le progrès social.
François Corda
Ministry / ameriKKKant (Etats-Unis | 9 mars 2018)
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