LOVE HUNTERS
Ben Young

DuelLove Hunters est tiré de faits (sordides) réels. Dans les années 80, en Australie, un couple séquestre des jeunes femmes afin d’en faire leur objet sexuel jetable. Le film a été bien reçu par le public et la critique, mais divise une fois encore Ivann et François

François Corda : J’aimerais parler censure avec toi en préambule et plus précisément avertissement. Est-ce que tu trouves l’interdiction aux moins de 16 justifiée pour Love Hunters et si oui pourquoi?

Ivann Davis : C’est une vraie question… Il y a toujours un décalage entre l’interdiction liée à son exploitation et l’interdiction liée à son propre ressenti. Concernant le film qui nous intéresse aujourd’hui, je trouve l’interdiction justifiée. Oui, un adolescent peut voir bien pire sur internet ou au journal télévisé, pour autant faut-il légitimer l’extrême violence au point d’emmener ses enfants au cinéma pour la voir en grand ? Je ne crois pas. Love Hunters est un film pour adulte. Point.

FC : On a vu bien pire en terme de maltraitance d’adolescent. Comme ça au débotté j’ai envie de citer The War Zone de Tim Roth qui, au-delà de ses qualités cinématographiques, retournait sacrément plus l’estomac. Et le film bénéficiait, lui aussi, d’une interdiction aux moins de 16. J’ai surtout la sensation que les commissions qui gèrent ce type d’interdictions font absolument n’importe quoi. On déconseille Le Bureau des légendes aux moins de 10 ans (sic) alors que c’est ultra réaliste et dérangeant, notamment la troisième saison, et on censure Love Hunters alors que c’est à mon avis un film parfaitement inoffensif, au même titre que, par exemple, Don’t Breathe de Fede Alvarez sorti il y a un an ou deux, lui aussi interdit aux moins de 16. Mais au moins, dans Don’t Breathe on avait le droit, de temps à autre, à des morceaux de cinéma. Ici, Ben Young nous gratifie d’interminables séquences en slow motion qui ne disent rien d’autre que ce qu’elles montrent, c’est à dire une esthétique de clips et/ou publicités, qui m’a soit intrigué au départ, puis agacé, puis exaspéré carrément lors du dernier plan, lacrymal à souhait. Problème(s) : d’une part l’héroïne laisse froid, et pour cause, elle n’a aucune scène d’exposition valable lui permettant d’exister autrement que comme une adolescente blessée parce que ses parents sont séparés (pauvre biquette). Et puis Love Hunters est un film vieux avant d’être sorti (thématique, traitement, scénario), qui promet beaucoup, notamment au niveau de la psychologie de son couple de meurtriers, et qui ne montre finalement rien, au sens propre comme au figuré. D’où son caractère inoffensif.

ID : Parfaitement inoffensif ??? Une jeune femme torturée et violée à coups de godemichet qui finit par se déféquer dessus pour repousser son agresseur, ce n’est pas exactement le pays des bisounours quand même non ? De mon point de vue ces ralentis sur les extérieurs que tu évoques nous donnent à voir une temporalité déformée qui renvoie directement à l’expérience de la claustration et met en opposition l’insouciance des enfants qui jouent à l’extérieur et l’horreur perpétuée à l’intérieur. « L’héroïne » n’est pas le sujet du film, son intérêt repose essentiellement sur le couple. J’ai trouvé les acteurs très convaincants : Emma Booth livre une véritable performance, dans ce rôle de femme maladivement amoureuse et terriblement possessive. Un personnage complexe qui révèle sa nature progressivement, vivant dans une contradiction permanente et se révélant au final aussi furieuse que son mari. Love Hunters est avant tout une histoire de couple, un couple au bord de la crise, dont l’équilibre vient d’être rompu par cette nouvelle arrivée qui sème le trouble chez le mari, préférant la voir souffrir que la voir morte et qui devient de ce fait trop encombrante aux yeux de sa femme. A l’image de Joe Spinell dans Maniac, on ressent parfois de l’empathie pour cette femme tiraillée entre amour et raison, d’une certaine façon la première victime de son mari qui exerce sur elle une emprise dont elle est aussi prisonnière.

FC : Tu connais mon amour de Maniac (hum) ! Blague à part, Emma Boothe est en mode Charlize Theron dans Monster, ça se voit immédiatement. Tout est fait pour l’enlaidir mais ça reste une jolie femme un peu lisse, et c’est un sentiment qui nuit à la crédibilité du propos : je n’arrive pas à croire que cette femme souffre psychologiquement. Alors, évidemment que la thématique est perturbante, mais c’est son traitement formel qui est raté. On voit des godemichets, un petit étron… Et c’est le summum de l’altérité dans Love Hunters. Tout est suggéré, ce qui ne me pose aucun problème a priori, sauf quand mon imaginaire n’est pas mis à rude épreuve. Des tortures ? Quelles tortures ? Des sévices sexuels ? Lesquels ? On montre un peu mais pas assez pour que l’on s’imagine quoi que ce soit de réellement dérangeant, allant au-delà du viol pur et simple. On est très loin de Salo là ! Ca aurait pu se limiter à des paroles terribles, à quelques chairs meurtries, mais rien de tout ça. Juste quelques plans bien photographiés, et un travelling très contestable lorsque Ben Young passe du couple qui est en train de se convaincre de profiter de leurs derniers moments avec leur poupée à la terreur de la victime. En fait, Ben Young n’a aucune empathie pour sa victime. Donc moi non plus. Il en a pour ses meurtriers et c’est l’aspect le plus intéressant, sauf que l’on ne sait rien de ces deux là sinon les instants montrés à l’écran. On a des pistes (pas suffisamment exploitées) sur le fait que John est en fait un souffre douleur en dehors du foyer, et qu’Evelyn a eu une histoire avant John. Mais l’aspect sexuel, qui les lie tous les deux, la jalousie maladive, les TOCS d’Evelyn, tout cela est traité façon catalogue. C’est le problème de tous ces films tirés d’histoires vraies, on sent à chaque fois les réalisateurs ligotés à des petits faits, sans qu’ils puissent s’émanciper et créer une atmosphère (contre-exemple en tête, le Massacre à la tronçonneuse qui allait bien au-delà du fait divers, dans une sorte d’orgie psychédélique). De mon point de vue Love Hunters échoue face à tous ses modèles. Séquestration ? Funny Games ! Rednecks ? Massacre à la tronçonneuse ! Sévices sexuels ? Henry portrait of a serial killer ou La Dernière Maison sur la Gauche. Et puis, la seule idée de réalisation, cette affaire de slow motion pour montrer la dilatation du temps, ça va cinq minutes ! Quant au scénario, il est d’une linéarité désarmante…

ID : Oui, c’est l’exact opposé d’un Salò ou les 120 Journées de Sodome de Pasolini, l’ancêtre du torture porn où tout était montré à grand renforts de gros plans sur des scènes dont la seule ambition étaient de choquer ou de faire vomir le spectateur. Un film qui se voulait être une critique d’une certaine bourgeoisie et de la dictature mais que je trouve d’une gratuité sans nom. Pour revenir à Love Hunters, le cinéma d’horreur australien se situe toujours en marge du cinéma d’horreur américain et c’est pour cette raison que je l’aime. Un film américain sur un sujet similaire, le réalisateur se serait appliqué à nous montrer le calvaire de cette jeune femme, la suivant dans ses moindres mouvements, ayant comme seul enjeu le fait qu’elle puisse réussir à s’échapper. Dans une production américaine, le bourreau aurait un stéréotype milles fois vus, une montagne (digne héritier des slashers américains) à la mine patibulaire et au look improbable, équipé d’une artillerie de boucher, vivant à la campagne, bref une image fantasmée faisant partie de notre imaginaire. En partie inspiré d’une vague de disparitions en Australie dans les années 1980, Love Hunters choisit une approche réaliste, ce couple de tueurs sont des gens d’apparences ordinaires, habitant dans petit pavillon de banlieue ordinaire. De ce fait, la souffrance qu’ils infligent à leurs victimes n’est pas à coups de haches ou de tronçonneuses, elle n’est pas spectaculaire, mais la force évocatrice est tout aussi terrifiante. Contrairement à un torture porn, le film évite toute complaisance et joue sur une forme de retenue. Je n’ai pas besoin d’en voir plus, au contraire, mon imaginaire va parfois bien au delà de la réalité qu’on me donnerait à voir.

Bref, à mon sens, Ben Young est un réalisateur à suivre qui comme Jeremy Saulnier (Blue Ruin) ou David Robert Mitchell (It Follows) représente une nouvelle génération qui bouscule les codes de l’horreur et apporte un souffle nouveau au genre.

FC : Je te trouve très lapidaire avec le cinéma d’horreur américain contemporain. Ce dernier a prouvé à de maintes reprises qu’il pouvait proposer autre chose que ce que tu présentes. La preuve, It Follows et Blue Ruin sont précisément… Américains ! Du cinéma d’horreur Australien je n’ai en tête que Wolf Creek (que j’avais beaucoup aimé) et pour le coup c’est assez stéréotypé en terme de suspense et de rednecks, même si terriblement efficace. Du coup, je ne vois pas bien en quoi l’approche de Love Hunters est si Australienne que ça… L’intrigue pourrait être transposée partout ailleurs. Mais d’universalité, il n’y a point. On aura d’ailleurs bientôt l’occasion de parler de Thelma, qui, lui, nous vient du grand froid Norvégien.

Ivann Davis et François Corda

bub

———

Love Hunters de Ben Young (Australie, 1H48)

Date de sortie : 12 juillet 2017

bub

gg

Commencez à écrire et validez pour lancer la recherche.