BLADE RUNNER 2049
Denis Villeneuve

DuelDerrière le vernis des critiques presse et spectateurs à l’unisson (pour une fois) se cachent parfois de vraies dissensions dans le camp des aficionados de S.F et/ou du premier volet réalisé par Ridley Scott il y a trente cinq ans. Alors, ce Blade Runner 2049 ? Vrai faux événement ou belle déclinaison du film original ? Les deux François en discutent.

François Corda : D’abord, j’aimerais savoir ce que représente pour toi le premier Blade Runner.

François Armand : C’est la maturité de la science-fiction, c’est-à-dire l’adaptation d’une nouvelle majeure de Phillip K. Dick, auteur qui a élevé le genre et a contribué à le faire reconnaitre comme un « vrai » genre littéraire. C’était une adaptation de son oeuvre de son vivant (même s’il est mort très peu de temps avant la première) et la première preuve d’une reconnaissance. J’ai vu le film étant plus jeune et j’avais été pris par l’atmosphère, les décors, le monde qui nous était proposé. Ca fait partie des films qui m’ont donné envie de m’intéresser à la vidéo.

FC : De cette Los Angeles en 2049 on ne garde que très peu d’images, tout semble se jouer dans des intérieurs très esthétisés, mais surtout totalement déshumanisés. La ville semble étrangement morte, quand celle de Scott grouillait de vie. On se demande où sont terrés les êtres humains dans le film de Villeneuve. Ce vide ne t’a pas gêné ?

FA : Le risque pour Villeneuve était de retomber dans les images qui avaient déjà été faites par Ridley Scott. On les retrouve furtivement, on les a encore en tête, je pense que c’est suffisant. Ce qui intéresse Villeneuve est ailleurs. Je garde par exemple en tête l’image du face-à-face entre l’immense hologramme et l’agent K, un instant suspendu au milieu d’une ville justement déshumanisée dans laquelle le personnage se débat avec sa condition. Rien que la première scène et la décision que l’agent K prend, sur ce que l’on pourrait qualifier d’intuition, prend le contre-pied de ce que l’on attend d’un Replicant. Dans Blade Runner, le sujet était (et est toujours pour beaucoup de fans) de savoir si Deckard était ou non un Replicant. Avec Blade Runner 2049, on le sait très vite, et on interroge plutôt l’humanité de l’agent K, et par la même, la nôtre, celle des humains.

FC : Tu me réponds par des considérations scénaristiques. C’est amusant parce que c’est précisément là que le bât blesse dans les deux films je trouve, et c’est sans doute pire dans Blade Runner 2049. Deckard était les yeux du spectateur dans le premier Blade Runner, un humain défait dans un monde d’une noirceur absolue et ça avait quelque chose d’assez vertigineux. L’agent K, dans 2049, ne semble être qu’un pantin dans une histoire qui le dépasse totalement et qui, à mon sens, ne dit pas grand chose de notre condition d’humain. De ce point de vue, le récent et plus modeste Ex Machina me semblait beaucoup plus profond et dérangeant. Le défi de Villeneuve ne semble être que visuel, une sorte de surenchère de ce qui a été exécuté en 1982. Les images de synthèse un peu fades en plus, l’atmosphère délétère en moins. Blade Runner 2049 a tout de l’objet arty:  design, beau mais sans âme. Le film de Scott, lui, conserve une patine unique, poussiéreuse, sale. 2049 manque de détritus, de saleté, d’humains, tout simplement. Le comble étant atteint par les scènes pseudo romantiques entre K et son hologramme : cette relation synthétise finalement assez bien le vide émotionnel du film.

FA : Je ne peux deviner les intentions de Villeneuve mais effectivement il a fait des choix stylistiques qui, à mon avis, prolongent son propos. Ce vide émotionnel, c’est celui d’une humanité qui s’est oubliée. La relation de K avec son hologramme et la sorte de relation à trois qu’ils expérimentent, c’est finalement ce qu’il y a de plus humain dans le film. On peut être agacé par le rictus mélancolique de Gosling, mais dans son jeu rentré, il y a une sorte d’ironie douce-amère. On ne trouve que des personnages dénués de sentiment ou de compassion. Et certes, d’un point de vue de l’image, on nous donne toujours à voir de véritables compositions. On sort de LA, qui n’est plus un protagoniste. Il y a la terre dévastée tout autour. D’un côté une ville bien trop dense, tentaculaire et froide, autour un monde qui n’a plus de sens et plus de vie. Les piliers de ce qui fonde notre économie aujourd’hui se sont effondrés : l’agriculture, l’industrie « lourde » et le divertissement. C’est cela finalement qui peut décontenancer : on a là une sorte d’ode à l’inutilité et à la déviance. Qu’attend-on d’un film de SF en 2017 finalement ?

FC : Qu’il réinvente un imaginaire. Les derniers bons films de SF, mineurs (Jupiter, Looper, Repo Men par exemple) et majeurs (Interstellar, Avatar, Matrix) avaient cette capacité. Le problème de ces suites à trente ans d’écart (c’est valable pour Star Wars VII, Alien Covenant ou Terminator Genisys notamment) c’est qu’ont les sent coincées entre une volonté de surfer sur la nostalgie des spectateurs (ici, c’est Harisson Ford, poupée de cire) et de vagues velléités de montrer quelque chose de nouveau, mais jamais d’un point de vue conceptuel, uniquement esthétique. Ce qui donne ces objets froids, qui perdent selon moi toujours au change quand on les compare avec leurs aînés, qui, eux, développaient de nouveaux concepts visuels et scénaristiques.

FA : J’entends ce constat sur la reprise des vieilles recettes réchauffées : c’est un fiasco pour Star Wars VII, pathétique pour Terminator Genisys et simplement fade pour Alien Covenant. Toutefois 2049 a l’avantage de ne pas avoir la prétention de singer l’original et je persiste à dire qu’il dit quelque chose de notre monde actuel, qu’il trouve un écho. Après la Science-fiction est aussi épuisée et est rattrapée par la réalité. Se réinventer demandera d’explorer d’autres pistes. En relisant 2001, l’Odyssée de l’espace avec son Insterstellar, Nolan a quelque part tué la magie qu’on nous proposait dans les années 80.

FC : J’adore ce film. Précisément parce qu’il se laisse complètement aller au niveau scénaristique. C’est délirant, incohérent, mais on sent que Nolan et son frère sont dans un trip, émotionnel et viscéral. Tu vois, une scène de 2049 synthétise très bien ce que j’ai ressenti à la vue du film : celle où Deckard observe sa fille au travers d’une vitre. Eh bien Deckard, c’est moi. Et je pense être au moins aussi frustré que lui !

François Armand et François Corda

bub

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Blade Runner 2049 de Denis Villeneuve (Etats-Unis, 2H43)

Date de sortie : 4 octobre 2017

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