MOONSPELL
1755

DeterreUn nouvel album de Moonspell est toujours attendu avec circonspection. S’il est vrai que le groupe semble incapable de réellement décevoir, il n’en reste pas moins inégal. Avec l’album 1755, deux éléments intriguent : tout d’abord il est chanté dans la langue maternelle du groupe, c’est-à-dire le Portugais, et non pas en Anglais comme c’est (trop) souvent le cas pour les groupes dont l’ambition est internationale. Un choix courageux pouvant être interprété comme une volonté d’être entendu dans leur pays. Ensuite 1755 est un concept album, construit autour d’une histoire singulière, s’inspirant d’un fait historique.

Venue de la scène Black Metal, la bande de Fernando Ribeiro en était arrivée à un métal écorché et gothique, définissant alors davantage son identité par rapport à un son qu’à un genre réellement défini. Une fois de plus dans leur carrière déjà conséquente (débutée au milieu des années 90), les voilà empruntant des chemins nouveaux. Souhaitant donner une dimension cinématographique à l’histoire racontée, Moonspell fait le choix d’un carcan formel lorsqu’il s’agit justement d’incarner en musique une forme de contestation (ici, briser les chaines morales qui corsetaient les sociétés européennes d’alors). Le ton adopté est celui d’un heavy épique avec la présence constante d’une orchestration symphonique.Cependant les chœurs et envolées orchestrales, omniprésentes, ne prennent jamais le dessus sur le propos. La voix de Ribeiro, puissante et grave, assène ses strophes dans un chant des plus éraillés, et ce dès le titre d’ouverture : Em Nome do Medo, annonciateur du virage emphatique pris par le groupe. Cœurs vibrants, orchestration foisonnante, tous les ingrédients y sont. Les titres s’enchaînent ensuite avec toute une palette de nuances, entre les sonorités orientales (Ruinas par exemple), les refrains très efficaces, des lignes mélodiques imparables (notamment au cœur du morceau In Tremor Dei sur lequel intervient le chanteur de fado Paulo Bragança) ou encore la froideur de quelques passages un peu plus dépouillés de leurs oripeaux classiques. Le disque se termine dans le recueillement.

Pourtant, malgré un travail abouti, un paradoxe subsiste, une sorte de gêne. Si le metal symphonique n’est pas le plus approprié des genres pour retranscrire la colère, de par son classicisme et les codes qui lui sont propres, il n’empêche que 1755 nous relate un récit qui signifie beaucoup. Il faut rappeler qu’à cette époque, tous les fléaux qui affligeaient l’humanité s’expliquaient par la religion, à l’image des destructions Bibliques des cités de Sodome et Gomorrhe. Si une calamité survenait, les prétextes ne manquaient pas pour justifier la colère divine : impiété, adoration du Diable, occultisme … Le rôle de l’Église s’en trouvait renforcé et la justice de Dieu répondait au désarroi des sujets. Donc si Dieu est maître de toutes choses, pourquoi diriger son ire sur les églises de Lisbonne ? Cette question fut la source d’une controverse qui traversa les frontières pour être reprise par les plus grands penseurs du Siècle des Lumières, avec Voltaire en tête de file. L’histoire qui nous est contée ressemble donc fort à un rappel, une injonction à ne pas croire aveuglément les idoles. Ceux qui se prennent pour des Saints aujourd’hui, les dirigeants politiques ou religieux qui promettent tant et exploitent la crédulité des masses, sont les mêmes qu’en 1755 … Mais n’aurait-on pas davantage préféré que la rage contenue dans le propos ne s’exprime de manière plus libre et plus forte ? Quitte à ce que l’esthétisme – indéniable certes – soit moins présent. Le secret de l’album réside peut-être là. En atténuant sa colère grâce à des oripeaux symphoniques, Moonspell a privilégié la narration et le décor, et délivre son message l’air de rien, avec davantage de finesse qu’il n’y parait.

Au crépuscule, nous voilà errant dans un monde dévasté. Derrière les façades écroulées se cachent des logiques échappant à la maîtrise des hommes. Les Dieux n’ont pas de prise sur le Monde. Certes, on voudrait hurler contre la bêtise, l’aveuglement des masses … Mais allez, de toute façon : « tous les Saints ne suffisent pas, voici la lumière du jour ! ».

François aRMAND

 

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Moonspell / 1755

Date de sortie : 3 novembre 2017

 

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