Premier Contact
Denis Villeneuve

DuelPremier Contact a reçu la bénédiction de la presse et des spectateurs. Dans des mesures différentes, Ivann et François ne partagent pas cet enthousiasme, et profitent de ce nouveau débat pour revenir sur la carrière de Denis Villeneuve et ses marottes.

Ivann Davis : Suite à Sicario, dont j’étais sorti complètement secoué, j’avais entrepris de découvrir rétrospectivement les films de Denis Villeneuve, en commençant par Incendies, qui confirmait tout le bien que je pensais de lui. J’attendais donc de pied ferme Premier Contact. Comment-as-tu rencontré le cinéma de Denis Villeneuve ?

François Corda : J’ai découvert Denis Villeneuve par Incendies, grâce (ou à cause, je ne sais plus…) de Martin Souarn (contributeur sur BUB), qui m’en avait dit le plus grand bien. Je n’ai pas aimé, mais curieusement, j’ai été amené à voir ses autres films, sans doute parce que je sentais chez lui, d’une part une volonté de grandeur, du cadre et des thématiques, d’autre part une ambition plastique pas si fréquente. Mais finalement, Incendies résume assez bien, selon moi, les limites du réalisateur Canadien, qui ne sont pas si éloignées de celles de Park Chan-Wook : cette volonté tenace de retourner la tête du spectateur, de le piéger narrativement.

ID : Peut être mais l’un le fait à la sauce Américaine et l’autre à la sauce Coréenne et ça fait toute la différence.

FC : Denis Villeneuve est Canadien et non Américain, et mine de rien, cela peut se ressentir dans son oeuvre (Sicario mis à part, sans doute le plus hollywoodien de sa filmographie).

ID : Ok, mais je défie quiconque de me dire que Premier Contact est un film Canadien pour la simple et bonne raison que c’est à mon sens le plus américain de ses films avec Sicario, de par sa thématique, son casting et ses moyens engagés. Et ce n’est pas le remake de Blade Runner qui changera la tendance, au contraire…

FC : Sans doute. Mais en attendant, Villeneuve a toujours été attaché à une sorte de froideur visuelle, mais aussi des sentiments, qu’on retrouve rarement dans le cinéma Américain. Le meilleur exemple est sans doute Enemy, qui se déroule dans une mégalopole Canadienne glaciale. L’atmosphère y est particulièrement étouffante. On retrouve un peu cela dans Premier Contact, ces différentes teintes de gris, de la maison d’architecte de Louise Banks au sas du vaisseau alien, en passant par la plaine qui sert de rencontre jusqu’aux tentes de fortune installées ci et là pour les communautés scientifique et militaire. C’est clairement la meilleure partie du film. Mais dès que Villeneuve veut faire passer de l’émotion, de la couleur, il est pataud comme pas permis.

ID : La question que je me pose, et j’incrimine le roman, c’est pourquoi l’espèce la moins avancée doit faire l’effort de décrypter le langage de la civilisation la plus avancée ? Comprendre l’anglais devrait être un jeu d’enfant pour une espèce aussi avancée que ces aliens ! En même temps les scénaristes ne nous ont pas envoyé les premiers de la classe : au bout d’une heure, les aliens ont enfin compris que les trois inconscients qui viennent les voir sont des humains. On peut passer à autre chose ? Oui… Les prénoms. C’est une blague ? C’est une espèce avancée ou des enfants de maternelle ? Je veux bien adhérer à une approche de l’alien plus réaliste, au contraire, mais là c’est un peu too much, non ?

FC : Cette histoire de communication, en effet, est sans doute un peu grotesque, mais je dirais qu’en tant que défi formel, ce fameux « premier contact », la façon dont il est amené, est assez sidérant. Ce qui est plus gênant, c’est que les influences de Villeneuve semblent moyennement digérées (le monolithe, aussi beau soit-il, c’est un peu celui de 2001 l’Odyssée de l’espace, les aliens, aussi beaux soient-ils, dérivent bel et bien de deux conçus par Giger). Mais c’est vraiment la mise en scène de Villeneuve qui est performante : le tunnel, l’ascension le miroir qui séparent les personnages des aliens, je trouve ça plutôt magnifique.

ID : Tu évoques les personnages. Le trailer ne m’avait déjà pas convaincu. Amy Adams c’est la carte émotion du film, l’archétype de l’actrice studio capable de faire passer toutes les sentiments dans un seul regard. Les gros plans de l’actrice principale sont tellement répétés que l’on frise le fétichisme. A côté d’elle on retrouve Jeremy Renner dans le rôle du scientifique cool (parce qu’il y a toujours un scientifique cool dans la science-fiction américaine, ne me demande pas pourquoi) et Forest Whitaker dans le rôle d’un général grognon, plutôt limité. Bref, le casting n’est pas non plus le point fort de Premier Contact

FC : Complètement d’accord avec toi concernant le casting, et Amy Adams en particulier, qui, par ailleurs, comme les autres, n’a pas grand chose à faire pendant le film. Mais essayons d’imaginer Premier Contact se déroulant uniquement sur le lieu de la rencontre, en excluant cette histoire de gamine malade, les flashbacks (ou plutôt les flashposts, encore un truc de scénariste horripilant). Premier Contact aurait pu alors (presque) devenir ce film d’alien purement contemplatif que l’on n’a pas eu depuis… Blade Runner ?

ID : Je n’associe pas Blade Runner à un film contemplatif, mais plutôt 2001 l’Odyssée de l’espace ou encore Solaris. Mais puisque tu évoques l’histoire et sa narration, je l’ai trouvée redondante. La faute à une construction séquencée en trois parties, tournant en boucle sur elle-même de façon aléatoire et s’annonçant de la façon suivante : la base militaire, le flash-back, le vaisseau extra-terrestre. On ne sortira quasiment jamais de ce schéma, ce qui a provoqué chez moi une certaine lassitude. Et ce ne sont pas les considérations philosophico-existentielles qui parcourent le film qui changeront vraiment la donne.

FC : Ohhh oui ! C’est ce que je disais précédemment : dès que Villeneuve cherche à psychologiser, il est médiocre. Ce qu’il ne fait pas ou peu, heureusement, dans Enemy et Sicario (même si j’ai moins aimé le second pour sa vision totalement fantasmée de la war on drugs). Et toi qu’est-ce qui te plaisait jusque là dans le cinéma de Villeneuve ?

ID : Je n’aime pas tout chez Villeneuve, mais je lui trouvais, jusqu’à Sicario, un style plus européen, avec tous les codes que cela comporte, sur le fond mais aussi sur la forme. Une réalisation soignée, une mise en scène épurée, percutante mais jamais vraiment spectaculaire et une violence sèche, jamais stylisée. Sans oublier le soin accordé à la musique, et des acteurs bien dirigés. Pour résumer, j’avais le sentiment de voir le meilleur du cinéma grand public, et Premier Contact vient aujourd’hui malheureusement me contredire. D’ailleurs est-ce encore du Denis Villeneuve ? Pour la mise en scène sans doute mais pour le reste la question se pose…

FC : En tout cas tu parlais de la musique dans les films de Villeneuve, et j’étais sur le point d’oublier de mentionner celle de Premier Contact, qui est magnifique. Le travail de Jóhann Jóhannsson contribue très largement à la réussite de la première partie. Une musique atmosphérique, étrange, des sons qui viennent de nulle part. C’est pour le moins cosmique !bub

Ivann Davis et François Corda

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Premier Contact de Denis Villeneuve (Etats-Unis, 1h56)

Date de sortie : 7 décembre 2016

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