La Loi du marché
Stéphane Brizé

EnterreAvec un titre aussi glacial qu’un tableau Excel, on ne peut pas reprocher à Stéphane Brizé de nous avoir trompé sur la marchandise : La Loi du marché est donc, sans surprise, aussi inexpressif et programmatique qu’une courbe de chômage analysée par des experts.

La Loi du marché est un « témoignage ». On y entre comme dans un extrait de A vous de juger dans lequel Thierry nous retrace son parcours de chômeur longue durée. La réalisation est ascétique (comme si le genre du documentaire, auquel aspire cette fiction, était forcément dénué d’un désir artistique), les visages sont fermés (Thierry est VRAIMENT dans la mouise, pas de place pour les sourires svp) et les décors hideux (la précarité c’est laid, comme chacun sait). Seule idée intéressante de mise en scène, Vincent Lindon qui se débat pour survivre dans un entretien d’embauche face à un écran d’ordinateur, symbole évident mais efficace d’une déshumanisation en marche de la société.

Le problème c’est que, pour un témoignage, on n’apprend pas grand-chose. Ah si ! Que la vie est dure quand on est un prolétaire. Surtout quand on a un fils handicapé comme Thierry, un gars qui, décidément, n’a vraiment pas de bol (même si sa femme a l’air sympa). Que les « petites gens » sont sans pitié, même entre elles. Surtout entre elles. Il faut voir cette séquence façon docu M6 « comment réussir son entretien d’embauche » : ce jeu de massacre entre victimes est tellement gros qu’il en est presque risible. Il y a dix ans, Stéphane Brizé réalisait l’attachant Je ne suis pas là pour être aimé, et, justement, on se marrait devant un Patrick Chesnais Droopy proche du burn out. Mais Vincent Lindon en Droopy ne fait rire personne. Il apitoie à peine, malgré tous ses talents d’acteur.

La Loi du marché est hypocrite. Il se présente comme un tableau compatissant de la France d’en bas mais c’est juste un petit précis de misérabilisme complaisant. Stéphane Brizé ne lorgne pas vers le combat social comme les Dardenne : de ce point de vue le film s’achève d’ailleurs très tôt, dès lors que Thierry renonce à poursuivre le sien, de combat, contre son ancien employeur. Stéphane Brizé se contente de pointer (traquer ?) chirurgicalement les faiblesses d’un homme timide et abattu, en assénant une pauvre morale : mieux vaut renoncer que de tricher, ou on nous tape sur les doigts, comme à ces caissières prêtes à tout pour augmenter leur nombre de points sur leur carte fidélité du magasin. Mieux vaut se résigner que de combattre, car ça use psychologiquement, comme Thierry l’explique à l’un de ses anciens collègues syndicalistes.

Il ne faut pas interpréter le geste final de Thierry comme un ras-le-bol : c’est une fuite, déguisée par le réalisateur en acte de dignité exécuté sur la pointe des pieds. Brizé ne réussit finalement qu’à enfoncer un peu plus ceux qu’il semble plaindre. Sans doute parce qu’il les méprise un peu aussi : cette scène pendant laquelle Thierry apprend à danser le rock sur un tube de Goldman est terrible. C’est cette condescendance qui colle aux basques de La Loi du marché et tue le projet initial dans l’œuf.

 François Corda

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La Loi du marché de Stéphane Brizé (France ; 1h37)

Date de sortie : 19 mai 2015

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