P’tit quinquin
Bruno Dumont

DuelP’tit Quinquin a été unanimement décrit comme le virage comique pris par Bruno Dumont. Véritable bombe pour certains, pétard mouillé pour d’autres, la série, en tout cas, ne laisse pas indifférent.

François Corda : La première heure de P’tit Quinquin m’a étonné et, d’une certaine manière, m’a fait rêver, même s’il y a des choses qui m’agaçaient un peu. Ça fonctionne au début parce que les personnages que l’on découvre sont fantasques, et c’est drôle ou en tout cas intriguant. Par contre j’ai assez vite déchanté au début de l’épisode 2 où Bruno Dumont se détourne à mon avis trop de son intrigue pour se concentrer sur le quotidien de ses personnages. C’est-à-dire que ça n’avance pas. Il montre les virées des enfants, qui fonctionnent de mon point de vue pas terriblement bien – je pense notamment à la scène des auto-tamponneuses, ou à la virée avec les pétards. Et du coup j’ai arrêté. Une série en quatre épisodes qui s’essouffle au bout du deuxième, je n’ai pas envie de continuer.

Marc Urumi : Là où je suis d’accord avec toi, c’est que l’épisode 1 met le paquet. Ou c’est l’impression que ça donne, étant donné qu’on entre dans un univers. Tu dis que Bruno Dumont se détourne de son intrigue, mais ce qui est intéressant finalement, c’est comment il va utiliser l’intrigue pour dire quelque chose en termes de cinéma, ou de métaphysique j’allais dire, parce que Dumont, il me semble, c’est ça qui l’intéresse toujours au final.

FC : Et comment ça se traduit ?

MU : C’est quelque chose qui existe dans ses plans. Dans la manière même dont il filme, dans ses cadres, dans la lumière, il y a quelque chose qui est à la fois pictural et mystique. Il s’intéresse à des gens qui se meuvent dans un territoire, qui habitent quelque part.

FC : Oui, le ciel bleu, le vent, des paysages magnifiques et intrigants (le bunker), tout cela impose la vision d’un monde que je vois un peu comme l’envers des personnages, présentés comme étant tous plus ou mois méchants, bêtes, etc.

MU : Ils ont quelque chose de cruel. Mais je ne sais pas si Dumont estime que ses personnages sont méchants et bêtes. Je pense qu’ils sont humains déjà, ils ont une façon d’être dans un monde et devant une caméra, une façon qui est singulière.

FC : Dumont joue clairement de passages qui sont mal joués.

MU : Il cherche l’accident. Qu’est-ce que les accidents vont révéler ? Qu’est-ce que tu vas dire d’humain de toi, quand tu passes devant une caméra, quand tu es dans un dispositif, qu’est-ce qui va surgir de toi quand tu joues un personnage ?

FC : Oui. Mais encore une fois, pour moi, ça fonctionne trois quarts d’heure. Ce que tu avances, c’est quelque chose de très théorique sur le cinéma. Ce sont les personnages qui m’intéressent, pas qui il y a derrière les personnages. Bref, j’ai l’impression qu’il jette toutes ses forces dans l’épisode 1.

MU : Concernant cette baisse de régime de l’épisode 2, j’ai eu le même sentiment. Je ne sais pas à quoi c’est vraiment dû. Au fait qu’on entre dans un univers donc, ou peut-être au fait que c’est un peu moins drôle : il y a une succession de moments forts dans l’épisode 1 (la découverte des flics, le grand-père qui jette les verres sur la table, l’église), et finalement dans l’épisode 2, on revient à des thèmes plus connus chez Dumont…

FC : Il continue son intrigue sans la continuer, tu as l’impression qu’elle fait du sur place…

MU : Oui, mais l’idée, ce n’est pas de faire avancer l’intrigue.

FC : Je l’ai bien compris, mais du coup, j’ai plus l’impression que c’est une suite de sketches, et à la limite, j’imagine très bien qu’en termes de cruauté et de justesse, les Inconnus pouvaient faire ça il y a vingt ans avec le sketch des flics ou des chasseurs par exemple.

MU : Je ne sais pas si l’on peut comparer le cinéma de Dumont aux sketches des Inconnus. Ne serait-ce que sur les intentions. Ce n’est pas une question de bien filmer, c’est une question de ce qui surgit quand tu fais du cinéma. Les sketches sont programmés a priori, alors que dans P’tit Quinquin il y a un rapport aux acteurs, au paysage, quelque chose qui surgit à travers l’intrigue mise en place, et à travers ce que Dumont veut faire dire et faire faire à ses personnages.

FC : Qu’est-ce que tu penses du fait que Dumont ait fait appel à des acteurs amateurs qui ont des gueules pas possibles ? Ils sont tous moches, P’tit Quinquin le premier. Ils ont des trognes pas possibles ! Et j’ai l’impression qu’il utilise ces faciès pour provoquer quelque chose chez le spectateur. C’est d’ailleurs une partie intégrante du pouvoir comique de ces acteurs. Et ça me gène.

MU : Parce qu’ils ont une trogne. P’tit Quinquin, je le trouve beau.

FC : Je me demande en quoi tu le trouves beau P’tit Quinquin ! En tout cas, je reconnais que ça fait beaucoup de bien, de prime abord, de voir des gens que tu n’as pas l’habitude de voir au cinéma, où les gens sont souvent trop lisses, trop beaux, et ça en devient pénible. Mais là tous les personnages sont carrément dégénérés !

MU : Encore une fois, tu mets ça en regard d’un hors-champ. Or, dans P’tit Quinquin, ce n’est pas mis en regard, c’est-à-dire qu’on arrive dans un univers où on ne compare pas les personnages avec des personnes extérieures. Quand Dumont le fait, il le fait avec deux journalistes propres sur eux, suffisants et, pour le coup, bêtes. L’univers de P’tit Quinquin, sans hors-champ médiatique, c’est la normalité. Et autour, tu as des espèces d’extra-terrestres lisses qui s’arrogent le terme de normalité.

FC : Je dis simplement que Dumont part dans l’excès inverse, et ça m’irrite. Ce trop-plein qu’il te déverse sur l’épisode 1, sur le 2, tu commences à avoir la sensation de manger deux choucroutes d’affilée. Il y a une forme de saturation. Si j’avais vraiment été tourneboulé par P’tit Quinquin, j’aurais continué. Il y a un moment à partir duquel tu n’es plus surpris, et à partir du moment où tu n’es plus surpris, tu perds l’enthousiasme.

MU : Oui, le problème c’est peut-être que l’épisode 2 nous laisse plus le temps de se rendre compte de ces questions de distance. Tu es moins dans l’intrigue, plus dans l’artificialité, et de fait tu as plus de recul pour te demander dans quoi tu es en train d’être embarqué. Mais il faut aussi une patience par rapport à ces personnages. Tu rentres dans un univers dans lequel au début tu es assez ébloui quand même. Tu as cette perte de vitesse dans le 2, mais dans le 3 et le 4, Dumont tire les fils de ce qu’il a commencé à mettre en place, il convoque d’autres personnages, l’oncle Dany, la grande sœur, un procureur, des journalistes, un couple et leur fils handicapé, pour aboutir sur un truc qui le caractérise très bien, qui est ce commissaire qui se retourne vers la terre, qui petit à petit comprend dans quel espace il est, et que le mal est là, qu’il est lié à la terre. Pas la terre du Nord, la terre dans le film qui est lié à ce village-là à ce moment-là. Ce n’est pas seulement une question de surprise et d’atypisme. Ce que fait Dumont, c’est d’aller dans des endroits où personne ne va, il sort des codes et crée une collision des genres qui laisse bouche bée.bub

François Corda et Marc Urumi

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P’tit Quinquin de Bruno Dumont (France ; 4 épisodes de 52 min.)

Date de sortie : octobre 2014

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