FURIE
Brian De Palma

Duel 18.10.00Furie est un film étrange de Brian De Palma, naviguant entre des styles diamétralement opposés et porté par un Kirk Douglas en fin de carrière. Laurent et François y voient, au choix, un film raté ou bien un petit feu d’artifice dont ce réalisateur doué a le secret… Choisissez votre camp !

François Corda : Laurent, tu n’es visiblement pas de mon avis quand j’affirme que Furie est un tout petit De Palma… Pourtant la virtuosité de sa mise en scène me semble ici noyée par un scénario assez indigent bien que prometteur (l’histoire d’un agent secret qui recherche son fils, enlevé pour ses pouvoirs extra-sensoriels).

Laurent Leplaideur : Effectivement, François, je ne trouve pas que ce soit un « tout petit » De Palma. Bien au contraire, il fait partie de la catégorie des films délirants et poussés à l’extrême de ce réalisateur.  Oui, c’est abracadabrant, mais l’histoire se tient du début jusqu’à la fin. D’autant que le tour de force du film, c’est d’offrir un spectacle multi-genres : espionnage, suspense, action, un brin d’humour, fantastique, horreur… Véritablement, c’est du pur Grand-Guignol.

FC : Je suis d’accord pour dire que le film est délirant dans la mesure où il cherche à jouer sur tous les tableaux. Ca aurait pu (dû) être un atout, mais on peut aussi reprocher à De Palma de l’avoir un peu trop joué à la coule. Chaque genre me semble malheureusement plus effleuré que réellement creusé. Le film laisse une impression curieuse, comme si De Palma avait eu envie de se détendre après avoir enchaîné avec des films franchement oppressants (Carrie, Sœurs de Sang et Obsession notamment). Du coup on a l’impression que le réalisateur traite ses sujets un peu par-dessus la jambe, qu’il cherche à en mettre partout en se faisant plaisir, sans penser à celui du spectateur. C’est un peu épuisant !

LL : Tu oublies Phantom of the Paradise dans la filmographie, qui est entre Soeurs de Sang et Obsession, et qui est de la même veine, disons dans le côté délirant, que Furie. A un détail près, Phantom of the Paradise est dans un univers fantasmagorique, tandis que Furie démarre dans le monde réel, si je puis dire. Ce qui peut totalement déconcerter, je te l’accorde. En fait lorsque je parlais de mélange de genres, je ne voulais pas dire qu’ils étaient forcement mélangés, mais plutôt qu’ils s’enchaînaient. Et cette progression marche bien selon moi, et m’étonne encore aujourd’hui : ça commence comme un film d’espionnage, enchaîne avec un semblant de drame familial, une petite note d’humour (lorsque Douglas se déguise pour échapper à ses poursuivants) puis on plonge vers du mystère, qui devient du fantastique et se termine de manière hyper mélodramatique… et gore de surcroît.

FC : C’est vrai que tout le catalogue y passe ! De toute façon il faut reconnaître que c’est un réalisateur touche-à-tout. Il suffit de voir le grand écart, entre, au hasard, ses films hitchcockiens et Les Incorruptibles, Mission To Mars ou Redacted. Le problème de ce réalisateur, de mon point de vue, c’est qu’il accepte parfois des scénarii franchement bancals… Furie en fait partie.

LL : Mais à part le scénario, quand tu évoques un « petit De Palma », tu parles aussi de la réalisation ? Car, encore une fois pour l’époque, il y a des tours de force à ce niveau, de nombreuses idées, une utilisation intelligente des trucages images pour avoir, dans le même plan, un élément en gros plan net et un autre en arrière plan tout aussi net… Sans compter cette séquence d’anthologie en semi ralenti, lorsqu’Amy Irving s’échappe de l’institut où elle était retenue prisonnière, qui finit dans un bain de sang et de coups de feu !

FC : Là-dessus je te rejoins complètement ! De Palma, même dans ses pires films (je pense à Mission To Mars notamment), nous réserve des moments bluffants de mise en scène. Dans Furie c’est en effet cette scène au ralenti, dans Mission To Mars c’était la course poursuite des astronautes dans l’espace. Mais cette virtuosité technique ne suffit pas, à mon avis, à rendre l’objet attachant. Par exemple, la fameuse séquence de Furie évoquée plus haut ne sert strictement à rien du point de vue de l’intrigue. C’est de la pure esbroufe. Non décidément ce qui m’a le plus convaincu dans Furie c’est l’interprétation tout en nuances de Kirk Douglas. Il fallait le faire, rendre son personnage crédible alors qu’on le fait changer sans arrêt de registre…

LL : Oui, c’est de la pure esbroufe ! Mais n’est-ce pas ce qui caractérise souvent ce réalisateur ?  De plus une scène d’action/poursuite a rarement fait avancer une quelconque intrigue. Mais revenons à Kirk Douglas. Comme toi, je le trouve crédible et très en forme. Le choix de De Palma est du coup assez surprenant, mais en même temps le bonhomme s’était aussi donné à fond un peu auparavant dans un mauvais mais très amusant pastiche italien de La Malédiction : Holocauste 2000 (tout un programme !). Et les amoureux de Cassavetes retrouveront ce dernier dans un rôle un peu à contre emploi. Que dire de plus ? Nous ne sommes pas d’accord sur les différents genres offerts par l’intrigue, mais force est de reconnaître que les acteurs se donnent à fond, que la réalisation est aux petits oignons, que les effets spéciaux marchent encore plutôt bien et que John Williams délivre une bande originale à mille lieux de ce que qu’il fait d’habitude ! Je ne tiens pas à lancer moi-même la conclusion, mais avec tous ces éléments, je n’arrive toujours pas à considérer Furie comme un tout petit De Palma.

FC : Ah tiens c’est amusant que tu évoques la partition de Williams… Je ne saurais dire si elle diffère réellement de ce qu’il fait d’habitude mais son générique d’introduction est superbe. Pour le reste je trouve la musique du film assez convenue. J’entends bien ce que tu dis, Furie n’est certes pas dénué de qualités, l’affirmer serait sans doute de mauvaise foi. Pour autant, je ne peux m’empêcher de penser qu’en regard de ses grands films, Furie est mineur, et qu’au-delà de ça, c’est un film déséquilibré. D’aucuns parleraient de film malade, ce qui, je le conçois, peut être synonyme de charmant.

François Corda et Laurent Leplaideur

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Furie de Brian De Palma (Etats-Unis ; 1h58)

Date de sortie : 04 janvier 1979

bub

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