MICHAEL KOHLHAAS
Arnaud des Pallières

DeterreLe bienfait a été immense et inattendu. Inattendu parce que la projection à Cannes cette année est passée relativement inaperçue. Et immense car le film est immense. C’est l’histoire d’un marchand de chevaux du début de la Renaissance qui demande réparation pour le mauvais traitement infligé à deux de ses bêtes. Et le film gronde, il remue, il rend meilleur. Il entre dans des méandres riches et complexes, où la figure de Mads Mikkelsen, et sa foi, sont autant de réponses aux offenses faites au monde – on ne blesse pas des chevaux.

Ces méandres, Arnaud des Pallières les appelle des « carrefours d’humanité ». Scène après scène (la douleur du héros de voir l’état de ses chevaux, la rencontre d’un adolescent prêt, ou pas, à tuer un enfant qui descend les escaliers d’un donjon, le personnage de Sergi Lopez, drôle et habité, hommage à Honor de Cavaleria d’Albert Serra, le regard fixe et inévitable porté par Amira Casar sur le baron puéril fautif, etc.), scène après scène donc, le réalisateur explore un territoire fait de fragilités, de doutes, d’attachements, de convictions. Par l’ellipse, par la formation de trous dans le récit et de plans vertigineux, il modèle un espace de hautes valeurs et de cruauté déchirante. Par son réalisme, il concrétise une manière d’être humain dans un monde radicalement différent (les dialogues, au xvie siècle, se structuraient selon une manière qui nous est inconnue, les corps étaient exposés à une violence plus visible, ce que filme Des Pallières, aux combats, au froid, au vent, ce vent imprévisible qui souffle fort et qui reste conservé au plus profond de l’âme).

Ce monde offensé est aussi un monde dont la dimension politique résonne jusqu’à aujourd’hui. À ce titre, les rencontres que fait Michael Kohlhaas sont symptomatiques. Celle d’abord avec le moine réformiste interprété par Denis Lavant, qui reproche à celui qui a construit une armée d’avoir regroupé des hommes autour d’une querelle qui ne les concerne pas. Or, la blessure des chevaux de Kohlhaas les concerne parce qu’elle ne touche pas seulement à la propriété d’un marchand ; elle les concerne car ils appartiennent à un monde où des offenses sont commises et ne sont pas punies. C’est cette dimension politique que manque et que refusera finalement Kohlhaas – ce qui le différencie par exemple d’un William Wallace dans Braveheart. C’est là son humanité, son humilité, sa naïveté, sa droiture. L’autre rencontre est celle avec la suzeraine des lieux, interrogeant Kohlhaas, debout dans son bain : « Vous êtes un fanatique ? » Cette question posée, retournée contre lui, fait figure d’une nouvelle indignité de la part d’une aristocratie dégénérée, inconsciente et adolescente ; infligée au personnage de Mads Mikkelsen, elle semble une erreur, une marque cruelle de la réversibilité des valeurs et des interprétations. Lui, toujours sobre, répondra simplement : « J’ai mes principes ». Lui, en humanité, en humilité, en discussion avec le monde, lui qui s’est introduit de lui-même dans une mécanique tragique, pleurera sur le plan final, se demandera comme le Christ avant de mourir : « Ne me suis-je pas trompé ? » Ce plan est désormais lui aussi ancré, comme le vent, au plus profond de l’âme, et c’est ce que le cinéma peut faire de plus beau que d’obséder à ce point sur la teneur de l’humanité.

Marc Urumi

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Michaël Kohlhaas de Arnaud des Pallières (France, Allemagne ; 2h02)

Date de sortie : 14 août 2013

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