ONLY GOD FORGIVES
Nicolas Winding Refn

Duel 18.10.00Nicolas Winding Refn a partagé la presse et peu convaincu son public avec son nouveau film, Only God Forgives. Le film est d’ailleurs revenu bredouille du festival de Cannes… Mais il est loin d’avoir laissé BUB indifférent ! Ainsi Jean-Baptiste et François ne sont pas d’accord, soit, mais ils s’entendent au moins sur un point : Only God Forgives a la matière pour provoquer une discussion sur les rouages du cinéma à part de Refn. Dont acte.

François Corda : Jean-Baptiste, nous sommes d’accord sur les vertus esthétiques du nouveau film de Refn. La lumière est magnifique, les effets spéciaux également. Je te propose donc de ne pas nous y attarder pour discuter plutôt de nos divergences. Si je comprends bien, ce que tu reproches à Only God Forgives, c’est d’être un « film tableau », une sorte de belle coquille vide, c’est bien ça ?

Jean-Baptiste Durand : En fait, de mon point de vue, ce film est un retour en arrière de Refn par rapport à Drive. Sur son précédent opus, le réalisateur avait su plaquer ses obsessions habituelles (puissance/impuissance masculine, personnages coupés du monde, etc.) sur une vraie structure narrative (celle du roman de James Salis). En ce sens il proposait le meilleur des deux mondes : un film noir hanté par le spectre de la folie. Sur Only God Forgives il retourne sur ses rails habituels (le film n’est qu’une méditation et une expérimentation plastique, une rêverie glauque) et cède a la facilité, au pur trip artistique égotiste. Pour moi c’est une démarche « pauvre » et j’attends mieux de lui.

FC : Je te trouve dur quand tu dis que c’est « pauvre » même si j’entends parfaitement ce que tu dis, le scénario se résumant, il est vrai, à quelques lignes. Pour moi le plaisir du film, que j’ai trouvé supérieur à ses autres délires contemplatifs (Le Guerrier Silencieux et Bronson notamment, à mon sens beaucoup trop longs voire emphatiques) tient, au-delà de son impact visuel, à faire fantasmer le spectateur. Tu parles de rêverie glauque, c’est exactement ça qui m’a fasciné ! Cette sensation de traverser un long cauchemar, d’avoir son inconscient (le complexe d’Oedipe, l’ultra-virilité, le désir de toute puissance incarné par le flic) plaqué devant les yeux plutôt que dans la tête, c’est franchement troublant ! Tu ne trouves pas ?

JBD : Il y a un côté fascinant, c’est incontestable, mais ça reste une démarche trop nombriliste pour qu’il en émerge quelque chose de réellement  pertinent. Au fond on n’est pas très loin de ce que pourrait proposer un étudiant en deuxième année de cinéma en pleine crise existentielle ! Et, précisément, je n’attends pas d’un cinéaste de quarante ans qu’il continue à s’exhiber par le biais de la caméra, surtout quand il l’a déjà fait, à un degré ou un autre, sur les mêmes thématiques dans toutes ses œuvres précédentes. Qu’on plaque ses obsessions sur un récit, soit. Qu’on fasse un récit de ses obsessions et on tourne vite en rond. C’est d’autant plus dommage que ça pousse, de la même manière, l’acteur principal à ressasser sa composition de Drive : en conséquence, on en ressort avec l’impression d’un réalisateur et d’un acteur finalement assez limités.

FC : Crise existentielle ou pas, on peut trouver ça plutôt valorisant de voir un fil conducteur dans la filmographie de Refn, puisque cela fait de lui un auteur au sens noble du terme. En tout cas au moins depuis Bronson (2008), sa trilogie Pusher étant complètement à part, tant formellement que dans l’approche scénaristique, plus proche du feuilleton ou même de la série. Mais je reviens sur ce que tu dis de la composition de Gosling, ça m’interpelle. Je n’ai pas d’admiration particulière pour cet acteur, qui joue exactement de la même manière dans Drive, Only God Forgives et The Place Beyond The Pines : mi-romantique, mi-bad-boy et surtout taiseux, complètement fermé. D’un point de vue technique, on peut considérer que c’est complètement inintéressant. Sauf que dans les deux films de Refn, Gosling incarne une sorte de masculinité parfaite de neutralité, dans laquelle il est facile de se projeter en tant que spectateur. Une sorte d’équivalent de Tintin trash en version cinéma si tu veux ! C’est aussi pour cela que, malgré l’inconséquence du scénario, Only God Forgives fonctionne : cet acteur-là a un certain pouvoir de magnétisme quand même…

JBD : Il y a tout de même une marge entre fil conducteur et incapacité à changer de traitement. Et puis je ne suis absolument pas d’accord avec toi sur le côté « neutre » des personnages de Gosling dans les films de Refn. Bien au contraire le chauffeur de Drive et le boxeur de Only God Forgives sont des personnages extrêmement marqués (un semi autiste avec des pulsions d’extrême violence d’un côté, un impuissant brisé psychologiquement par sa mère de l’autre). Le problème vient effectivement du fait que le traitement superficiel du personnage est le même (silence, contemplation) et que, si on y ajoute la composition de l’acteur dans The Place Beyond The Pines, on commence à sérieusement douter de la crédibilité de Gosling en tant qu’artiste complet.

FC : Je ne nie pas que ces deux personnages-là aient un vécu ou des aspirations particulières, n’empêche qu’à l’écran ils restent impassibles quelle que soit l’émotion (d’ailleurs le seul moment ou Refn fait hurler Gosling dans Only God Forgives est raté)…

JBD : Admettons, mais dans ces conditions il eût été salutaire, à mon sens, de créer une vraie rupture par rapport à Drive, ce qui n’est pas le cas : Refn semble en être arrivé à un stade de son parcours où il ressasse, plutôt que d’explorer de nouveaux horizons artistiques. A mon sens, il est urgent qu’il s’émancipe de cela. Comprenons-nous bien : je n’ai rien contre l’idée d’un film tableau, j’ai adoré l’Elephant de Gus van Sant ou le Hero de Zhang Yimou par exemple, mais, précisément, cet exercice de style ne peut pas complètement se passer d’un scénario solide pour donner toute sa mesure. En fait, il faut un minimum de rigueur dans la construction intellectuelle pour pouvoir dans un deuxième temps, se concentrer sur le visuel.

FC : Je n’ai pas vu Hero, mais dans Elephant je n’ai pas souvenir qu’il y ait un scénario digne de ce nom. Peut-être fais-tu allusion au contexte très particulier dans lequel le film est inscrit… Bref peu importe, j’entends ce que tu dis mais je m’oppose un peu à cette idée selon laquelle il faut forcément une construction intellectuelle de départ pour apprécier un film. Si un film est parvenu à me faire rentrer durablement dans la tête des images fortes c’est pour moi déjà un grand pas de fait !bub

François Corda et Jean-Baptiste Durand

 

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Only God Forgives de Nicolas Winding Refn (Danemark, Etats-Unis, France ; 1h30)

Date de sortie : 22 mai 2013

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