LAURA MARLING
once i was an eagle

bubDuel 18.10.00Vingt-trois ans seulement et déjà quatre albums : la chanteuse folk Laura Marling ne chôme pas ! Once I Was An Eagle est son petit dernier, et il a fait beaucoup de bruit à sa sortie il y a quelques semaines. Malgré leur amour commun du genre, Martin et François sont pourtant divisés… Ils en discutent pour mieux cerner ce qui les sépare au sujet de ce disque ambitieux.

Martin Souarn : François, tu sembles avoir été ennuyé par l’uniformité de l’album de Laura Marling là où pour ma part j’ai trouvé une forte unité. La frontière entre les deux ne doit pas être bien marquée. Si tu devais préciser ton point de vue, tu dirais quoi ?

François Corda : J’ai une anecdote troublante concernant ce disque. Je l’ai écouté à plusieurs reprises, et à chaque fois j’étais persuadé que la même chanson revenait à différents moments… Cela provoquait chez moi un grand sentiment de lassitude, comme si le disque se jouait de moi, m’empêchait de progresser dans l’écoute. De manière générale c’est donc cette sensation de stagnation qui a fini par avoir raison de mes a priori positifs sur Once I Was An Eagle. A la décharge de Laura Marling (qui a tout de même une belle voix), rien de plus difficile que d’écrire des chansons seul(e) avec sa guitare…

MS : Je vois ce que tu veux dire par la même chanson qui revient. Ma propre première écoute m’avait laissé une grande impression, je n’avais pas détaché des sept premières chansons qui semblaient s’enchaîner sans que l’on perçoive les transitions. La deuxième moitié du disque, tout aussi excellente pour des raisons bien différentes, a été plus longue à apprivoiser. Cette première partie, je la perçois comme une suite en sept mouvements, chacun proposant une variation du même thème de départ. Ces morceaux ont en commun de tourner autour d’un seul et même accord et d’intégrer à leur structure cette montée « hindouisante » de tablas et de cithare. A mon sens, ce parti-pris de composition est ce qui fait toute la cohésion de ce disque, pour peu qu’on se laisse entraîner.

FC : Du coup je comprends mieux d’où vient cette lassitude : ce n’est pas tant l’utilisation du même accord sur plusieurs morceaux ; à la limite on peut voir ça comme un pari très audacieux, finalement assez proche d’une démarche « progressive ». Mais ce qui est franchement ennuyeux c’est qu’on ne perçoit dans cette première moitié aucun changement dans l’intensité du jeu ou de la voix. Tout est d’une grande uniformité et ce qui peut sembler au départ agréable (le climat apaisant instauré par la guitare sèche, la voix enjôleuse de Laura Marling) devient rapidement rébarbatif… Et comme il s’agit des huit premiers morceaux, difficile ensuite de relever la tête pour les huit restants ! Non franchement, si je dois comparer ce disque avec d’autres perles folk dépouillées et récentes (Ruby Throat, Laura Veirs, Mirel Wagner…), il n’y a pas photo : chez chacun de ces artistes je peux distinguer une identité forte, un « truc » dans les compositions et les arrangements qui me semble ici tout à fait absent.

MS : Je te trouve quand même injuste avec ces fameuses premières chansons qui proposent des variations d’intensité, toutes proportions gardées certes ; l’enchaînement de l’agité « Master Hunter » et du triste « Little Love Caster » notamment. Mais passons, car ce n’est après tout que la moitié du disque ! Que reproches-tu à la deuxième partie de l’album, à part d’avoir le tort de passer après la première ? J’y ai trouvé des morceaux (« Where Can I Go », « Little Bird ») témoignant d’un songwriting très mature et dont l’interprétation me rappelait le meilleur de Joni Mitchell.

FC : On peut prendre certains morceaux individuellement, pas de problème, ils sont plutôt bien réalisés. Ce que je reproche, comme je te disais, c’est l’absence, sur la longueur, d’intensité. Ou si tu préfères, de dynamique. Laura Marling ne déroge que rarement à son rythme de départ, les ambiances me semblent égales, bref, j’ai envie de dire à la chanteuse : « réveille-moi, surprends-moi ! ». L’autre souci c’est qu’émotionnellement, mon cardiogramme est plat : je serais bien incapable de te dire si ce disque est triste ou joyeux… Et ça me pose un vrai problème parce que mes standards en matière de folk sont justement habités par des sentiments assez marqués (souvent la mélancolie il faut le dire).

MS : Ah, c’est un problème de décalage entre le disque et tes attentes, alors ! De mon côté j’ai tendance à me méfier des nouveaux disques folk, car on est très vite dans la redite par rapport à ce qui a déjà pu être fait auparavant. Pour autant ce disque a su repousser mes propres préjugés grâce à son organisation inhabituelle, que je ressens comme celle d’un conte raconté du bout des lèvres plutôt que vécu. Marling hausse rarement la voix pour ne pas brusquer sa petite histoire… Je ne pense pas que la folkeuse ait eu l’intention avec Once I Was An Eagle de construire une épopée émotionnelle ou d’en faire un journal de ses malheurs. Mais plutôt de composer un disque simple, complice même, avec une première partie installant un climat musical qui devient rapidement familier – qui brille plus par son ambiance unie que par son songwriting – avant de nous emmener vers le cœur de l’album, plus varié. La construction de l’album est originale et le pari est réussi, à mon sens !

FC : Je vois bien que l’organisation du disque t’a plu et je dois reconnaître que, de ce point de vue, c’est ambitieux. Et puis c’est vrai, sans doute avais-je des attentes vis-à-vis de mes références. Pour autant, je suis ouvert à découvrir des alternatives à ces modèles, mais celle-ci ne me convient pas. Parce que trop propre, parce que manquant (à mon sens) d’originalité. Bref je n’y trouve pas une forme d’étrangeté ou, à défaut, une qualité de songwriting hors du commun qui aurait pu accrocher mon oreille… Bon, il faut dire aussi que Laura Marling est très jeune, elle a une longue carrière devant elle et qui sait, elle évoluera peut-être vers un style que je jugerai plus personnel !bub

François Corda et Martin Souarn

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Laura Marling / once I was an eagle

Date de sortie : 28 mai 2013

 

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