LES REVENANTS : SAISON 1
Fabrice Gobert

EnterreUn beau jour, quelques personnes décédées reviennent dans leur bourgade natale. Le teint frais, le pas alerte. Ils ne sont pas agressifs mais déboussolés (on le serait à moins). Dès lors tout un enchaînement d’événements (encore plus) bizarres va survenir… On est bien embêté à la vue de cette nouvelle série française, à l’image des habitants (vivants) de cette petite ville nouvelle, qui devant ce phénomène incroyable se contentent de se gratter la tête. Embêté parce que Les Revenants, c’est finalement le manuel illustré de tout ce qu’une série devrait à la fois épouser et fuir. Au final ? Un coup d’épée dans l’eau ou presque.

Ainsi, le premier atout des Revenants est aussi son tendon d’Achille : faire tenir sur plusieurs heures un pitch qui s’épanouissait très bien dans une version cinématographique d’une heure et demie, dans le film du même nom de Robin Campillo (Les Revenants, sorti en 2004). Ce dernier délaissait l’aspect fantastique pour rebondir sur l’aspect clinique et logistique du retour à la vie d’êtres disparus dans une grande ville de province. Idée assez géniale qu’ont volontairement délaissée les scénaristes Emmanuel Carrère et Fabrice Gobert pour en faire tout autre chose, un feuilleton à plusieurs voix, typique de la série TV. Cela se défend, mais on imagine le casse-tête chinois des deux collègues pour parvenir à tenir la distance avec un cadre aussi serré : sachant que les morts ne sont pas méchants, que les vivants se grattent la tête, que peut-il donc se passer ? Si bien que le récit, qui a le temps dans une série de s’épanouir, de développer les caractères, se contente ici de se dérouler tranquillement sans guère d’enjeu. Autrement dit, le spectateur a l’impression constante qu’on lui tend une carotte sous le bout du nez, dont il comprend assez rapidement qu’il ne pourra jamais la croquer : Les Revenants accumulent les tensions sans que celles-ci trouvent vraiment de finalité dramatique.

D’un point de vue structurel, Carrère et Gobert ont choisi de d’abord réinsérer les morts dans le quotidien des vivants (c’est l’exposition du postulat fantastique, assez laborieuse) pour ensuite dérouler une intrigue sur le mode « comment, pourquoi », avec, il faut le reconnaître, de très belles idées visuelles (les animaux dans le lac, les scènes dans le tunnel, l’arrivée des revenants…). Malheureusement dans les deux parties le serpent se mord la queue. L’importance des personnages dans une série (par la force des choses, on  les suit plusieurs heures) impose qu’on les traite avec un soin particulier pour les rendre singuliers. Globalement dans Les Revenants ce sont les vivants qui ont les beaux rôles. La série présente quelques jolis portraits, notamment de femmes (Clothilde Hesme et Céline Salette, belles et émouvantes), mais dans l’ensemble nous sommes face à des stéréotypes qui n’évoluent que très peu. Mention spéciale à Anne Consigny dans son rôle de pleureuse particulièrement pénible, et à Yara Pilartz, souvent fausse. Ajoutez à cela des dialogues parfois maladroits, une attitude distante, presque désinvolte, des protagonistes et vous savez pourquoi cela nuit à la crédibilité de l’événement qui devient de fait… Un non événement ! En fait, on sent Gobert et Carrère gênés par ces situations, souvent absurdes évidemment, de conflit entre ces vivants apathiques et ces morts qui se sentent bien vivants, eux. Dans Les Revenants, c’est en général « à situation exceptionnelle, mesures normales ». On n’y croit pas une seconde et de ce fait, chaque nouvel épisode nécessite un temps de réadaptation un peu long à la situation, à ce faux rythme installé par les scénaristes (un peu à la façon de la saison 2 de Walking Dead). Une fois entré dans l’épisode, voilà qu’il est déjà fini ! Rarement épisodes de série n’auront donc semblé si courts, mais c’est ici plus le fait d’une frustration que d’une envie réelle d’en savoir plus.

Les auteurs se révèlent paradoxalement les meilleurs dans la chronique du quotidien routinier, heureusement sans coups de théâtre censés relancer l’intérêt du spectateur (un travers de nombreuses séries). Paradoxalement ? Pas tant que ça. Si on se souvient de la première réalisation de Fabrice Gobert, le sympathique Simon Werner a Disparu, au-delà des qualités esthétiques le microcosme d’un lycée de banlieue y était admirablement reproduit. De même, on sent Gobert à son aise dans cette ville où toutes les rues et maisons sont les mêmes. La cafétéria, que l’on pourrait croire sortie d’Hélène et les Garçons, possède pourtant un vécu ; c’est un lieu qui vibre. L’aspect neuf des appartements, des bâtiments, se révèle finalement inquiétant, car, on l’apprend vite, ce neuf abrite de nombreux malheurs, passés ou à venir. D’un point de vue formel, cette ville isolée du reste du monde (elle est perdue dans les montagnes, et domine un barrage que l’on devine dangereux) est une bénédiction. L’altitude, l’eau, la forêt sont autant d’éléments que Fabrice Gobert s’approprie pour créer une ambiance unique : on sent les habitants écrasés par cette nature puissante et potentiellement délétère, et le réalisateur exploite tous ces espaces avec un certain brio, un souci esthétique constant que l’on aimerait voir plus souvent dans le monde de la série. Le tout est porté par la musique à la fois trouble et mélancolique de Mogwai, qui sait se faire aussi légère que pesante. Une musique cinématographique.

Ce que l’on retient de cette première saison des Revenants c’est avant tout un détournement de l’argument de base (vivants vs. morts) vers des pistes jetées à la-va-vite comme tentatives vaines d’explication d’un phénomène qui, par essence, n’en a aucune. Un sentiment de privation cède face à ce jeu de dupes qui ne conduit inévitablement qu’à une chose : une deuxième saison. Tout le potentiel cinématographique des Revenants, qui passe par une réalisation soignée, audacieuse, se retrouve finalement amoindri par ces « trucs scénaristiques » un peu gratuits qui, s’ils évitent les twists, n’en sont pas moins des arguments un peu trop visibles de prolongation, sans d’ailleurs trop d’espoir de réponses (les incohérences, à ce stade du récit, sont déjà nombreuses). Les Revenants, comme de nombreuses séries, est addictive, c’est un fait. On veut connaître la suite mais on sent que cette addiction repose sur des fondations qui semblent peu solides. À suivre, comme on dit. Laissons le bénéfice du doute aux auteurs, ils savent peut-être précisément là où ils nous emmènent… Mais en l’état, nul doute que l’on aurait préféré un remake du film de Campillo, tout simplement.bub

François Corda

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Les Revenants (saison 1) de Fabrice Gobert (France)

Date de sortie : 2012

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