pour un cinéma total
bilan cinéma 2012

FocusLes Cahiers du cinéma ont consacré cette année, sans surprises, un cinéma d’auteur que le magazine affectionne depuis bien longtemps. Paradoxe, les mêmes Cahiers se plaignent, dans le même numéro (décembre 2012) que ce fameux cinéma d’auteur présente actuellement de nombreuses tares… Cela peut-il expliquer qu’ils aient élu en 2012 des cinéastes « expérimentés » tels que Carax, Coppola, Cronenberg, et surtout Ferrara (deux fois s’il vous plaît, pour Go Go Tales, pourtant sorti officiellement il y a plusieurs années, et son petit dernier, 4h44) ? Certainement. Mais cela prouve surtout que, quand on prend le cinéma par un seul bout (celui de l’autariat, en l’occurrence), on ne voit que ce que ce bout vous permet de voir, et rien de plus.

Car, disons-le tout net, on est franchement en droit de se demander si les réalisateurs précités (et plébiscités par de nombreux critiques cette année) n’ont pas déjà tout dit, et depuis longtemps. Il ne s’agit pas ici d’intenter un procès aux Cahiers, qui, de toute façon, restent une valeur sûre dès lors que l’on veut réfléchir sur le septième art et non le considérer comme un simple divertissement. Mais on peut regretter que le magasine ait, cette année, fait le choix des œillères. Leur exemple est intéressant car il est typique de ce que nous ne voulons pas sur BUB : être coincé dans une chapelle, ou plutôt, écrire selon les attentes de nos lecteurs.

Reconnaissons-le, cette année n’a pas été un grand cru, et elle a manqué de surprises. Ce qui explique peut-être aussi le choix « restreint » des Cahiers, comme celui de Chronicart, qui voient dans leur top 10 deux films du même réalisateur (Ferrara donc, et Hong Sang-soo pour les seconds). Pis, les films de 2012 semblent avoir manqué de sujets forts, ils n’ont pas donné envie de se déplacer, ou trop peu. Et quand ils en avaient un, de sujet « fort » (la crise économique, par exemple, omniprésente) cela faisait par trop écho à une actualité déjà étouffante. Qui plus est, y-a-t’il moins excitant, cinématographiquement parlant, que le monde de l’économie ? Bref, le choix a été facile à faire, tant les bons films se sont fait rares cette année. Cependant, il y a tout de même un trait d’union entre les dix longs métrages retenus (*).

Les films qui nous ont plu cette année sont tout simplement ceux dont le potentiel thématique a su créer au départ une envie, un désir profond d’aller au cinéma. D’ailleurs ne devrait-on pas toujours se rendre dans les salles obscures en y espérant un événement, en y croyant par avance ? Bien sûr l’originalité, la « force du sujet », ne sont pas des gages de qualité a priori mais quand le réalisateur (ou la réalisatrice) parvient à nous faire oublier les procédés employés pour ensuite susciter un autre désir, celui de l’analyse, le pari est gagné. Un flic tueur à gages, un homme seul à voir l’apocalypse, des ados « normaux » qui découvrent leurs « super » pouvoirs, un gamin et sa grande sœur qui survivent près d’une station de ski, l’origine de l’abominable alien… Voilà ce qui nous a fait rêver et/ou cauchemarder. Quel que soit le genre, qu’ils soient issus des grands studios, qu’ils soient d’auteur ou pas, ces films ont crée dans un premier temps le désir, dans un second temps l’envie d’analyse. La question se pose alors : le cinéma ne devrait-il pas être total (**) ? Un bon réalisateur, malgré ses qualités de mise en scène, parvient rarement à sortir un grand film sans un bon scénario, un bon scénario est rarement convaincant sans bons dialogues et ces dialogues ne valent pas grand-chose sans de bons acteurs. On le sait, il est rare qu’un film réunisse toutes ces conditions et on peut d’ailleurs concevoir qu’il puisse posséder certaines tares évidentes et nous plaire beaucoup pourtant. Mais c’est sans doute ce sentiment d’avoir vu un film rare, total, qui prime pour déterminer s’il restera ou pas dans notre mémoire.

Et en cela une politique cinématographique à tout prix (qu’elle consiste à ne voir que l’auteur, se centre sur un style particulier ou se complaise dans l’idôlatrie) ne peut pas fonctionner. Cette attitude est par trop exclusive pour qu’elle puisse proposer une vision ouverte sur le monde cinéma. Cette année, il se trouve que c’est le cinéma américain qui nous a séduit le plus. Mais décliné sous toutes ses formes (fantastique, drame, thriller, science-fiction). 2013 sera peut-être sud-américain, thaïlandais, il sera peut-être comique ou horrifique (il l’était l’année dernière, avec Livide, The Murderer et J’ai Rencontré le Diable), qui sait ? Mais en 2012, qu’il s’agisse du retour parfaitement improbable de Ridley Scott au haut-niveau (comme si l’alien était SA bestiole, que le mythe appartenait à son créateur), de la maestria formelle de Take Shelter ou de l’esprit toujours rebelle de Friedkin, que l’on évoque la poésie de Chronicle ou celle de Looper, dans de nombreux domaines les américains se sont montrés les meilleurs. Le reste de la sélection est européen, nordique et par conséquent… froid. La mort chez Haneke, la mort chez Herzog (dans les deux cas, on la touche/voit de très près, et c’est fascinant), le mal de vivre dans Oslo 31 Août, le mal d’aimer dans Les Hauts de Hurlevent… Chez tous ces réalisateurs, le froid est au cœur de l’œuvre. Une œuvre vivante malgré tout, grâce à la chaleur de ces cœurs qui battent encore, envers et contre tout, une chaleur comme un bienfaisant contraste face à la dureté des situations vécues.

Un mot enfin sur L’Enfant d’en Haut, à part dans la sélection, et cela à tous points de vue. Parce qu’il s’agit certainement du film de la liste qui a le moins bien fonctionné en salles, parce que sa réalisatrice est française, et que, dans son cadre (une petite ville triste à côté d’une station de ski) et son traitement (mêlant tragédie et comédie), L’Enfant d’en Haut nous a fait vivre le cinéma comme une expérience un peu nouvelle, sous-entendu autrement. Autrement comme… rare. C’était déjà le cas du premier film d’Ursula Meier, Home, qui exploitait à merveille l’idée (géniale) du cadre, une maison située au bord d’une autoroute abandonnée.

Ferrara aurait donc sorti deux des meilleurs films cette année ? On en doute et l’on veut croire qu’il y avait mieux à voir en 2012 qu’un Willem Dafoe fatigué (comme Ferrara lui-même ?) croupissant dans un night club où Asia Argento et Lou Doillon font un caméo nu et pathétique ; ou encore qu’un Robert Pattinson en costard qui cherche le contre-emploi en déblatérant des monologues dans une limousine pendant plus d’une heure. En fait, pour tout dire on n’en doute pas, on est en certain. Pas de nos goûts (on est conscient qu’ils dépendent trop d’une forme de sensibilité, de nos attentes personnelles) mais simplement qu’un certain cinéma d’auteur a été célébré cette année et que ce n’est pas celui que l’on veut voir. En tout cas pas le seul.bub

François Corda

bub

(*) Une Famille Respectable a malheureusement été vu après l’écriture de cet article

(**) Le concept de cinéma total avait déjà été évoqué dans notre chronique de La Solitude des Nombres Premiers

 

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Top Cinéma 2012

01 – Killer Joe
02 – Take Shelter
03 – Chronicle
04 – Oslo, 31 août
05 – Into the Abyss
06 – L’Enfant d’en Haut
07 – Amour
08 – Les Hauts de Hurlevent
09 – Prometheus
10 – ex aequo Looper & Une Famille Respectable

 

 

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